Crise des migrants: Peut-on vouloir le bien jusqu’au mal*


Les plus ouverts et réceptifs à l’accueil des migrants sont des Chrétiens qui s’ignorent. Il y a, certes, les Catholiques qui répondent à l’appel du Pape François, au nom d’une idéologie chrétienne d’une très touchante naïveté et qui optent pour un accueil organisé des réfugiés. Mais, ceux-là, ne sont pas ceux qui sont le plus engagés à défendre une immigration de masse, qui fait abstraction de toutes les nuances, y compris les plus marquées, entre un réfugié, un immigré, un migrant, un opportuniste. En effet, les plus fidèles à l’héritage chrétien de la France et de l’Europe sont ceux qui sont ancrés le plus dans l’idéologie anti-chrétienne qu’ils ont héritée d’un passé anticlérical. Ils l’ignorent, certes, mais leur compassion pour une misère qui pourrait bien se retourner contre eux un jour est en réalité très chrétienne… aimer l’autre jusqu’au renoncement à soi-même…

Ils n’ignorent pas pourtant qu’au Moyen-Orient, seul le Liban, petit pays aux capacités si limitées et qui partage avec la France ces mêmes racines chrétiennes, a volontairement ouvert ses frontières, et massivement, aux réfugiés syriens qui fuyaient pour certains la guerre et pour d’autres la misère. Ce pays, ouvert et tolérant, et où l’implantation sournoise et définitive de 2,5 millions de réfugiés syriens et palestiniens condamne irrémédiablement sa diversité, fait exception dans son environnement… ou, plutôt, faisait exception…

Ainsi, si la Jordanie, qui entasse les réfugiés syriens, provenant de zones tribales proches, dans des camps financés par les donateurs étrangers, vient juste après le Liban comme premier pays d’accueil des Syriens, les autres pays arabes, notamment les riches pays du Golfe, les rejettent et se contentent de fournir quelques aides matérielles limitées aux populations entassées au Liban et en Jordanie. Ces pays musulmans, qui ferment leurs frontières aux réfugiés musulmans de Syrie, d’Irak ou d’ailleurs, savent parfaitement bien mesurer les risques et dangers qui menaceront leurs sociétés et leur propre stabilité avec l’offensive démographique que les guerres voisines annoncent.

Pour se limiter au cas de l’Arabie Saoudite, pays vaste, riche et peu peuplé, les responsables saoudiens refusent d’accueillir ces migrants Syriens, fuyant la guerre et pourtant musulmans sunnites comme eux. Les Saoudiens considèrent qu’avec un taux de natalité élevé, qui rivalise avec celui de la société saoudienne, un radicalisme religieux, qui peut lui aussi se mesurer à l’obscurantisme du wahhabisme saoudien même s’il est différent et rival (Frères Musulmans, al-Qaëda, Etat Islamique) le risque est en réalité trop élevé pour leur sécurité et leur stabilité. Les Saoudiens pensent être en droit de refuser l’asile à des non musulmans, et même à y compris des musulmans que le wahhabisme considère comme hérétiques (Alaouites, Chiites etc.) et à des adeptes d’idéologies laïcisantes radicales (communistes, baasistes, etc.), au nom de l’Islam… Ils n’hésitent pas, non plus, à invoquer des différences culturelles avec leurs propres frères arabes sunnites. Par contre, ils condamnent dans leurs médias la frilosité des Etats européens dans l’accueil de ces flux migratoires. Pourquoi cette lucidité sélective, pourquoi tous ces arabes sunnites seraient-ils mieux en Europe, là où tout les sépare (langue, culture, religion…) que dans les pays du Golfe où tous les réunit (langue, culture et religion…).Voilà une question que les pays humanistes pourraient se poser…

Quant à la Turquie, d’Erdogan, islamiste et très engagée dans le conflit syrien, elle a, certes, ouvert ses frontières avec la Syrie, et dans les deux sens. Base-arrière de l’Etat Islamique et des groupes djihadistes les plus radicaux, et autoroute du djihad européen, arabe et asiatique vers la Syrie, la Turquie s’est embourbée dans le conflit syrien jusqu’à voir sa stabilité interne directement menacée par ceux qu’elle avait soutenus et encouragés. Erdogan a du oublier qu’en Orient on trouve toujours plus radical que soi… Mais, la voilà, maintenant qui retourne sa veste et qu’elle ouvre l’autoroute européenne dans le sens inverse, encourageant les djihadistes, leurs familles, et avec eux toutes sortes de réfugiés et de migrants économiques, à monter vers l’Europe… La Turquie refile donc à l’Europe les centaines de milliers de réfugiés qui sont devenus une menace pour elle… Peut-on raisonnablement penser qu’ils ne le seront pas pour les pays d’accueil ? Ils le seront doublement d’ailleurs. Ils le seront au plan sécuritaire parce que dans leurs rangs se comptent des milliers de djihadistes qui vont pouvoir pénétrer en Europe et renforcer tous les réseaux qui existent déjà. Ils le seront au plan économique et social tant cette masse intarissable va déstabiliser tous les systèmes sociaux d’Europe pourtant déjà exsangue. Charité bien ordonné commence par soi-même…voilà une leçon bien comprise par nos amis turcs.

Ces migrants, souvent des Syriens, jeunes hommes en âge de se battre, ont fui la Syrie, pour fuir la dictature Assad ou quand il s’agit des Kurdes celle d’un islam dégénéré. C’est leur version officielle censée toucher le plus grand public en Europe qui culpabilise d’être riche et en sécurité. Mais rassurez-vous cela ne durera plus très longtemps…

Mon petit pays en a fait la cruelle expérience dans l’accueil charitable de centaines de milliers de Palestiniens, qui le moment venu, et avec ceux qui chez nous partageaient la même religion, se sont coalisés pour atomiser mon pays que tous appelaient jusqu’alors la Suisse du Moyen-Orient. D’ailleurs quand je vois l’accueil que vous faites aux réfugiés venant de Turquie, la richesse débordante de votre compassion, votre soif inaltérable de différence, les Libanais souhaiteraient vous faire un cadeau qui réjouirait vos âmes. Nous sommes un petit pays de 10.452 km² et de 4, 5 millions d’habitants, surfragmenté au plan confessionnel, et nous avons en plus près de 2 millions de réfugiés syriens et près de 500.000 Palestiniens qui pourrissent dans des camps insalubres et pas digne de l’humanité depuis plus de 50 ans…: nous proposons d’organiser, avec vous, leur migration vers l’Europe…

Pour qu’elles restent ouvertes, accueillantes, et tolérantes, les sociétés européennes et occidentales, doivent pouvoir transformer ceux qui désirent adhérer à leurs valeurs, et ne pas se transformer elles-mêmes. La Mer Méditerranée et la Turquie, parfois complices d’ailleurs, lâcheront encore des millions de migrants, Syriens, Irakiens, Palestiniens, Afghans et autres, vers l’Europe occidentale. Le stock est, à l’évidence, inépuisable. C’est à l’Europe de repenser sa défense morale. Juste une petite question pour conclure qui s’adresse aux bonnes consciences empruntes d’un catholicisme dévoyé : peut-on vouloir le bien jusqu’au mal ?

* Une version de cet article, écrit par Fadi ASSAF et Joss MONCLAR, est parue dans Le Figaro (21/09), sous le titre : “Crise des migrants: Le regard d’un Libanais”

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