Syrie: Revirement stratégique des Américains, ou simple tactique?


Unilatéralement, le Président américain Donald Trump a ordonné à ses Forces armées de mener des frappes de représailles contre l’Armée syrienne, sur la base de renseignements fournis par ses services et confirmant la thèse de l’attaque chimique perpétrée contre des civils. La cible choisie est la base aérienne al-Shayrat, et plus précisément la partie syrienne de la base puisque la partie occupée par les Russes n’a pas été visée par les Tomahawk lancés à partir de la Méditerranée. Plusieurs avions syriens (entre sept et neuf) ont été détruits ou endommagés, et sept personnes ont été tuées dont cinq militaires parmi lesquels un haut gradé de l’Armée. Les avions russes, dont certains avaient été déplacés à la suite d’un contact préalable avec les officiers de liaison américains, et les radars et autres installations exploités conjointement par les Russes et les Syriens sur cette base, n’ont pas été touchés.

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Il s’agit clairement d’un changement de la politique américaine vis à vis de la Syrie, puisqu’au bout de quelques semaines à la Maison Blanche, Trump a agi contrairement à ses promesses de campagne concernant le dossier syrien en particulier, et contrairement, surtout, à la politique adoptée par l’administration Obama. Mais de là à y voir un revirement stratégique…

Pour Trump, qui surprend le monde, et ses propres alliés d’abord, là où on ne l’attendait pas vraiment, les limites de l’attaque sont claires : « I ordered a targeted military strike on the air field in Syria from where the chemical attack was launched (…) and it is in this vital national security of the U.S. to prevent and deter the spread and use of deadly chemical weapons ».

A priori, Trump, dont l’état-major a informé les militaires russes de la décision de frapper, et qui en a également informé l’allié privilégié qu’est redevenu le Royaume-Uni, a voulu faire d’une pierre plusieurs coups : ses calculs sont politiques et diplomatiques, internes et internationaux, et sa prise de risque est particulièrement limitée. Mais, à ce stade, encore une fois, il est trop tôt d’annoncer un véritable revirement stratégique.

En revenant de manière spectaculaire sur le devant de la scène syrienne dont s’était éloigné son prédécesseur à la Maison Blanche, Trump se réserve le « droit » de récupérer, à sa convenance, le dossier syrien et de le cogérer, à son avantage, en coordination avec Moscou. Washington redevient leader sur ce dossier, et relègue au deuxième rang les autres acteurs occidentaux qui s’y étaient positionnés, plutôt maladroitement.

Aussitôt annoncée, la frappe américaine a valu aux Etats-Unis un regain d’admiration de la part de partenaires déçus par l’inaction de la précédente administration (l’Arabie saoudite a immédiatement annoncé son soutien fort aux frappes américaines), et a pris de court et désorienté plus d’un parmi ses partenaires et ses adversaires.

A l’instar des Saoudiens et de leurs relais qui y voient déjà une demi-victoire contre Assad, il convient de signaler que sur le plan régional, on évalue cet acte, encore solitaire et non coordonné, suivant des prismes tout aussi étroits et individuels. La Turquie, embourbée dans le conflit syrien, espère ainsi à nouveau voir Washington s’engager activement pour renverser Assad. Israël, qui s’inquiète aussi bien de l’implantation en Syrie de l’Etat Islamique et d’al-Qaëda que de l’extension de l’emprise de l’axe irano-hezbollahi sur ses frontières nord, doit espérer une plus grande implication américaine afin de contrer, non seulement Assad, mais surtout l’Iran. L’Iran, qui peut être tenté de sacrifier Assad dans le cadre d’un deal qui lui garantirait son influence au Levant, sait que désormais, la partie est serrée et que les Etats-Unis, sous Trump, l’ont à nouveau dans leur viseur.

D’autres acteurs se font plus discrets, et plus prudents, et attendent de voir s’il s’agit d’une réaction ponctuelle et orpheline, ou si l’on est entré réellement dans une nouvelle phase déterminante, une phase où « les grands » risquent de guider le pas à nouveau.

Dans cette note, écrite quelques heures seulement après les tirs de missiles de croisière américains contre la base aérienne syrienne, on s’intéresse surtout (i) aux vraies questions qui doivent être posées à ce stade, sur les motivations réelles de cette décision américaine, ses implications militaires, politiques, diplomatiques et géopolitiques, et (ii) aux multiples scénarios possibles pour la suite.

Dans cette note, réservée à ses clients, MESP s’attarde aussi à (iii) évaluer la possibilité qu’une telle initiative, prise par Trump au début de son mandat, et contre toute attente, contribue in fine à contraindre les diverses parties à s’engager dans une véritable solution politique au conflit syrien.

Parmi les questions que MESP se pose, toujours dans ce contexte inédit de la crise syrienne, celle concernant (iv) le risque d’une confrontation généralisée entre l’Iran et ses alliés régionaux d’une part, et l’Arabie saoudite et ses soutiens régionaux et internationaux d’autre part, avec les encouragements d’un Trump qui pourrait s’avérer peut-être un autre va-t-en-guerre façon Bush père et fils…

Enfin, cette note tente d’anticiper (v) l’impact d’une telle initiative américaine pourrait avoir sur la guerre contre le terrorisme (Daech, Jabhat Fateh al-Cham, al-Qaëda, etc.) que mènent actuellement, chacun à son rythme et selon ses propres intérêts, Russes, coalition américaine, Iraniens, Syriens, Hezbollah et (vi) sur la stabilité de pays voisins (Liban, Jordanie).

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