Hariri: Macron remporte un indéniable (mais fragile) succès diplomatique


En Arabie Saoudite, la prise de pouvoir par le clan Salman et par le Prince héritier Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz a été progressive. La purge menée actuellement par MBS, et légitimée en interne par une indispensable campagne contre la corruption, n’est qu’un épisode dans ce long processus. Elle est spectaculaire, par son étendue et les personnalités ciblées, mais elle s’inscrit dans une stratégie bien élaborée. L’éviction, en juin 2017, du Prince héritier Mohammad Ben Nayef Ben Abdulaziz était annonciatrice de la suite des évènements qui devaient permettre à MBS de préparer la voie à son accession officielle au trône à la suite de son père.

Parallèlement à ces intrigues de palais qu’il s’avère maîtriser à l’évidence, MBS ouvrait une série de chantiers internes d’ordre social, politique et économique (Vision 2030). Sur le plan international aussi, comme sur le plan interne, il s’imagine capable d’égaler un jour le Roi fondateur, son grand-père Abdulaziz, et va jusqu’à prendre le risque de favoriser une nouvelle alliance stratégique durable avec les Etats-Unis. Alors qu’il poursuit une politique de diversification de ses relations internationales, allant jusqu’à se tourner vers la Russie pour s’équiper en systèmes d’armes modernes, MBS ne désespérait pas de réinitialiser l’alliance historique entre Riyad et Washington où il a aussitôt trouvé écho auprès du Président Donald Trump et de son gendre et Conseiller Jared Kushner.

Pour MBS, auquel n’échappent pas les évolutions géopolitiques actuelles, le jeu vaut la chandelle : reprendre, dans un contexte géopolitique bien différent, les mêmes équations qui ont permis au Roi Abdulaziz et au Président Theodore Roosevelt de conclure le Pacte du Quincy un certain 14 février 1945. Le nouveau Pacte MBS-Kushner, loin d’avoir l’aval de l’administration américaine et surtout du Département d’Etat et du Pentagone, devrait, dans l’esprit du jeune prince saoudien (32 ans), lui permettre d’obtenir un blanc-seing pour poursuivre ses aventures internes et même régionales là où il se voit encore chez lui. En contrepartie, MBS concède aux Américains un quasi-monopole sur les affaires économiques du royaume, et une adhésion totale aux politiques et actions américaines sur les dossiers régionaux. Le problème pour lui est venu de sa délimitation imprécise de la ligne qui sépare les affaires internes liées au pouvoir au sein de la famille et du royaume et les questions régionales qui portent atteinte à la souveraineté d’Etats proches ou moins proches. C’est par là où est venue son erreur d’appréciation sur le dossier libanais.

MBS n’avait pas vraiment le choix : soit l’Arabie saoudite admet l’ancrage, durable ou même définitif, du Liban dans le camp iranien adverse, soit elle réagit pour espérer mettre en échec l’entreprise iranienne. S’il devait réagir, il pensait pouvoir le faire seul, sans concertations. Et il a agi de manière pour le moins maladroite, prenant le risque de provoquer un effet contraire en portant un coup supplémentaire à l’Accord de Taëf. Il a cru pouvoir agir seul au Liban, jusqu’à démissionner son protégé Saad Hariri sous la contrainte, pensant avoir le feu vert américain et considérant Hariri comme une affaire de famille… C’est dans ce contexte que le Président Emmanuel Macron a jugé opportun d’entrer en scène, motivé par l’urgence de préserver la stabilité du Liban qui repose sur le maintien des arrangements en cours qui ont permis d’amener Michel Aoun à la Présidence et Saad Hariri à la tête du gouvernement où siège le Hezbollah. Au-delà de ces arrangements présents, la France doit redouter aussi de faire perdre aux Libanais, et aux Saoudiens d’ailleurs, l’Accord de Taëf désormais désuet.

MBS doit reprocher à Macron de lui avoir volé cette victoire, qu’il pensait facile, contre le Liban. Paradoxalement, il lui doit aussi finalement de l’avoir sorti de cette impasse dans laquelle il s’était enfermé. Macron doit à MBS de lui avoir offert une opportunité pour marquer un succès diplomatique indéniable même s’il doit encore être consolidé dans le temps. Il doit lui reprocher aussi de l’avoir court-circuité, en agressant de manière arrogante et osée le Liban avec lequel la France entretient des relations particulières et dont elle reste un défenseur historique de sa souveraineté. L’affaire Hariri s’avère une crise aigüe, ponctuelle. L’arrangement actuel qui permet son dénouement n’est que provisoire. Il aurait sauvé l’Accord de Taëf, in extremis… Permettrait-il un plus grand rapprochement par la suite entre Paris et Riyad, ou, au contraire, serait-il le point de départ d’une nouvelle crise plus profonde entre les deux pays ? Permettrait-il de stabiliser le Liban, en redonnant vie aux arrangements précédents, où ouvrirait-il la voie à de nouvelles tensions si Riyad décidait de reprendre sa contre-offensive sans se concerter avec Paris ?

Dans cette note de 7889 mots, MESP

(i) s’interroge si MBS avait ou non le choix de mener dans le contexte actuel une contre-offensive sur la scène libanaise, et
(ii) tente d’évaluer l’impact de cette nouvelle aventure saoudienne sur les équilibres interlibanais.
Dans cette note, réservée à ses clients, MESP revient sur
(iii) l’action diplomatique française telle que coordonnée (ou non) avec la Présidence libanaise et avec d’autres acteurs régionaux et internationaux (UE, Groupe de Soutien), avant de
(iv) s’intéresser aux priorités qui doivent maintenant guider la diplomatie française pour consolider les arrangements arrachés aux Saoudiens et éviter un retournement brutal de la situation.
Enfin, MESP (v) cherchera à anticiper les différents scénarios sur le court terme concernant l’avenir politique du clan Hariri.

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