FLASH : Egypte : Pour Washington, un allié de perdu, deux de retrouvés.

Ayant longtemps entretenu le « paradoxe égyptien », en soutenant une dictature « civile » totalement soumise au diktat américain, Washington ne pouvait qu’appréhender la chute humiliante de son champion Husni Moubarak, craignant pour ses intérêts et ceux de ses alliés de la région, principalement Israël. Le « paradoxe » devenait intenable, puisque, c’est sous la pression de la rue et de revendications purement démocratiques que le régime pro-américain s’est effondré. Devant cette action populaire massive et cet acte démocratique par excellence, Washington ne pouvait plus justifier son soutien à Moubarak qui, en perdant son « immunité » américaine, redevenait un vulgaire dictateur. Pour les Etats-Unis, l’Egypte, pièce centrale sur l’échiquier géopolitique régional, ne pouvait pas basculer simplement dans le camp adverse, avec le renversement de Moubarak. L’alternative aurait pu être une figure de l’ancien régime, comme l’ancien Premier ministre Ahmad Chafiq ou le maréchal Hussein Tantaoui. Les tractations menées par l’administration américaine avec les Frères Musulmans, directement, à Washington ou au Caire, ont permis, non sans hésitations de la part des Américains, de faire émerger une autre possibilité, la plus proche du processus démocratique défendu par le monde occidental… Le miracle du « One man, One vote » a finalement joué, portant le candidat des Frères Musulmans à la tête de l’Etat. L’Armée, constitutionnellement aussi, mais surtout volontairement, s’érige en garde-fou du système, ce qui laisse craindre, à terme, des conflits d’intérêts entre les Frères Musulmans et l’Institution militaire. C’est là où les Etats-Unis interviendront, à nouveau, inéluctablement.

A Washington, le lâchage de Moubarak n’a été accepté par tous que sous le fait accompli, alors que l’idée d’un pouvoir aux mains des Frères Musulmans était loin de faire l’unanimité. Jusqu’à la dernière minute, la classe politique américaine était partagée entre le soutien au principe d’une démocratie transparente qui permettrait l’arrivée de Mohammad Morsi à la présidence de la république, et le soutien à un autre principe celui d’une prudence nécessaire dans le contexte géopolitique de l’Egypte et qui pousserait vers une solution alternative du type Ahmad Chafiq. Finalement, les tractations avec les Frères Musulmans et avec l’Armée égyptienne, qui ont laissé se dégager un modus opératoire pragmatique, ont permis d’offrir un nouveau « parapluie américain » au nouveau montage du pouvoir en Egypte.

Dans son discours à l’Université du Caire, le nouveau Président égyptien a insisté sur son respect des engagements et accords internationaux de l’Egypte, même s’il a omis d’aborder la question israélienne, tout en exprimant son soutien au peuple palestinien, alors que les autres questions internationales pressantes du moment étaient pratiquement négligées au profit de questions internes plus urgentes aux yeux du nouveau pouvoir. Ainsi, la Syrie et « l’axe syro-iranien » n’étaient abordés que sous l’angle aussi du « soutien au peuple syrien ». A l’évidence, le mode opératoire du nouveau pouvoir égyptien doit reposer sur un partage des rôles entre le Président « FM » Mohammad Morsi et le Conseil militaire, avec un intérêt principal des Frères Musulmans et de M. Morsi pour les questions internes, sociales, politiques et économiques, et un intérêt principal de l’Armée pour les questions régionales et internationales.

Ce « ménage à trois », puisqu’il ne faut pas perdre de vue le « parapluie américain », impose, certes, un partage des rôles, mais il tolère un cloisonnement minimal entre les acteurs. Ainsi, Morsi s’intéressera surtout à la relance économique de l’Egypte, mais il aura besoin, grandement, de la contribution de l’Armée pour deux raisons évidentes : le poids économique et social de l’Armée sur le plan national, et les garanties qu’elle offre au niveau international pour inciter les instances économiques et financières mondiales à contribuer au redressement du pays. De même, l’Armée, qui a besoin de jouer pleinement son rôle et de convaincre l’allié américain de sa capacité à maîtriser le jeu encore et toujours afin de défendre son beefsteak américain ($1,3md/an), a besoin aussi de toujours légitimer, politiquement, ses orientations extérieures. Comme le Président Morsi et les Frères Musulmans ont besoin de l’Armée pour couvrir leurs politiques économiques et sociales et contribuer à leur succès, l’Armée a besoin aussi de Morsi et des FM pour légitimer et couvrir les politiques touchant les intérêts américains sur la zone (Israël, Canal de Suez, Iran, etc.).

C’est peut-être une cohabitation forcée, et qui ne manquera pas de connaître des tensions et des tiraillements autour des prérogatives des uns et des autres, mais c’est une cohabitation nécessaire, pour les deux principaux acteurs, les Frères Musulmans et l’Armée, tant qu’ils veulent rester dans l’orbite américaine… Le nouveau paradoxe égyptien est que le parapluie américain est désormais souhaité par les Frères Musulmans et l’Armée… En perdant un allié, avec le renversement de Husni Moubarak, Washington en aura gagné deux… A partir de là, c’est une question de management en quelque sorte…

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