La France tente un retour risqué en Libye


Publié dans le numéro 6 de la LettreM, 1er août 2017.

Il aura fallu de la persévérance et de l’audace pour amener les deux rivaux libyens, le maréchal Khalifa Haftar et le Président du gouvernement Fayez Serraj, à s’entendre sur une feuille de route pour une sortie de crise en Libye. Le Président Emmanuel Macron et son Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian l’ont fait. Il a fallu aussi de la chance et Le Drian l’a eue en misant, depuis qu’il était au Ministère de la Défense, sur le chef de l’Armée Nationale Libyenne. Ensuite, il a fallu un contexte général favorable à une telle initiative, et ce contexte fut trouvé avec une volonté de l’ONU d’engager rapidement une dynamique de paix en Libye, une évolution inespérée du rapport des forces géopolitiques avec la crise du Golfe, une convergence de vues entre Paris et Moscou sur ce dossier. Le terrorisme, la migration illégale, et les enjeux énergétiques et économiques, ont également joué en faveur de cette initiative franco-onusienne.

Pour la France, et faute de pouvoir concrétiser rapidement ses ambitions libyennes, le succès est, surtout, médiatique. La fenêtre de tir qui s’offrait à l’Elysée a été saisie, et la France s’est imposée comme acteur majeur sur la scène libyenne. C’est un fait. Elle l’a fait avec un parapluie onusien, et c’est tant mieux, mais sans un véritable consentement italien, et c’est tant pis. Elle a agi aussi et surtout au nom d’une communauté internationale et arabe qui tardait à prendre une initiative constructive. Au-delà de l’impact médiatique des premières heures, le succès diplomatique peut s’avérer fragile si la France manquait à légitimer son action :

localement, en élargissant le tour de table des acteurs libyens (le 27/07, Haftar, qui venait de s’entretenir à Paris avec le MAE égyptien, disait accueillir favorablement le retour de Saïf Kadhafi dans le jeu politique national, alors que le Conseil de sécurité de l’ONU appelait toutes les parties libyennes à soutenir le processus politique engagé et la Déclaration conjointe de Paris), et surtout, en exigeant de ses interlocuteurs libyens une véritable adhésion à l’initiative parisienne (respect du calendrier, rejet des ingérences extérieures, véritable contrôle des leviers dont ils disent disposer etc.) ;

régionalement, en obtenant le soutien réel et engagé des acteurs arabes qui comptent, dont les pays voisins : Algérie, Tunisie, Maroc, et les acteurs majeurs de la crise : l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, les Frères Musulmans (dès le 27/07, l’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye Ghassan Salamé recevait à New York le Ministre qatari des Affaires étrangères Mohammad Ben Abdullah Al Thani qui effectuait une visite de travail aux Etats-Unis) ;

internationalement, en associant sans délai les puissances européennes et internationales qui comptent : l’Italie qu’il s’agit de ne pas provoquer indéfiniment, la Russie, les Etats-Unis (le 28/07, le Département d’Etat pressait les Libyens à adhérer au cessez-le-feu et à soutenir le dialogue politique tel que convenu dans la déclaration conjointe de Paris), l’Union Européenne, l’ONU (le 27/07, l’Italie, où s’est rendu Serraj après Paris, annonçait l’envoi de navires de guerre au large de Tripoli, alors que son CEMA se rendait au Caire pour des discussions avec son homologue égyptien, et Rome et Tripoli decidaient d’accélérer des projets économiques bilatéraux, dont des contrats d’infrastructure, et des projets énergétiques à l’occasion de la visite du PDG d’Eni Claudio Descalzi; pour sa part, le SG de l’ONU Antonio Guterres affirmait, le 28/07, que l’ONU doit être « leader » dans le processus de recherche d’une solution politique en Libye, alors que son envoyé spécial Ghassan Salamé s’apprêtait à prendre ses fonctions officiellement).

La France aurait eu le grand mérite de réussir à engager une dynamique de paix en Libye, après avoir eu le grand malheur de contribuer à l’installation de ce chaos dans ce pays. Elle aurait beaucoup à gagner si elle réussissait à rendre viable sa feuille de route pour la Libye, et elle aurait plus de chances à réussir si elle évitait de faire cavalier seul sur cet épineux et dangereux dossier. D’ailleurs, à en croire Nathalie Loiseau (27/07), Ministre auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée des Affaires européennes, la France n’a pas l’intention de prendre « un hypothétique leadership en Libye » … C’est mieux ainsi, et c’est surtout pragmatique…

Consulter le numéro 6 de la LettreM, 1er août 2017.

 

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