Comment sont perçus les frappes syriennes et le rapprochement Macron-Trump?


Publié dans le numéro 24 de la LettreM.

Les frappes occidentales contre les installations chimiques syriennes relancent le débat sur la pertinence des choix français en Syrie, et sur la gestion incertaine du dossier syrien par les pouvoirs successifs à Paris. Ce débat est légitime, et il est même nécessaire. Il prend plusieurs dimensions : politique, géopolitique, juridique, médiatique, militaire, technologique. Tout est questionné, et tout est ouvert à la discussion. Mais, ce débat franco-français prend des tournures qui restent parfois inaccessibles pour les partenaires arabes de la France. D’ailleurs, Saoudiens, Emiratis et Egyptiens voient, dans cet engagement politique et militaire musclé de la France, de nouvelles opportunités à saisir dans le contexte géopolitique actuel, loin de possibles « ratés » lors des tirs de missiles de croisières notamment, révélés et médiatisés par les sources parisiennes… L’opération « Hamilton » coordonnée par la France et qui montre une proximité grandissante entre le Président Emmanuel Macron et le Président Donald Trump sur le Moyen-Orient, peut être un avantage pour la France lorsqu’elle ne renonce pas à « parler à tout le monde », qu’elle s’impose comme chef de file des puissances européennes, et, surtout, lorsqu’elle sait préserver son autonomie stratégique vis-à-vis de son allié américain.

 

Malgré les quelques « aléas techniques », les frappes françaises sont perçues comme un succès

Sur le plan strictement militaire, les frappes occidentales contre l’arsenal chimique syrien sont un succès. Cela est particulièrement vrai pour les Armées françaises qui ont réussi leur mission de planification et de coordination d’une opération à la fois inter-alliés et inter-armes. Ce fut l’occasion aussi pour les Armées françaises de montrer leur capacité de projection, à partir du territoire national, vers le foyer d’instabilité qu’est devenue la région du bassin oriental de la Méditerranée et le Proche-Orient. Ce fut enfin l’occasion pour la France d’officialiser, malgré quelques « aléas techniques » surmédiatisés à Paris, son entrée dans le club des puissances capables de mener des tirs de missiles de croisière à partir de ses bâtiments de guerre, et pour le Scalp porté par le Rafale de mériter son label combat proven.

Officiellement, l’opération militaire ayant engagé la France aux côtés des Etats-Unis et du Royaume-Uni, « propre » sur le plan humain, a atteint toutes ses cibles. Et c’est là l’essentiel, sur le plan militaire toujours, encore une fois malgré les « couacs », et autres « ratés » et « aléas techniques ». Car, sur le plan diplomatique, sur le plan géopolitique aussi, les évaluations seront forcément plus nuancées.

Les frappes militaires relancent le débat sur la politique syrienne et moyen-orientale de la France

En France, le débat sur la politique française vis-à-vis de la Syrie est aussitôt relancé, attisé par l’inévitable surenchère politicienne à la française accentuée par un agenda politique national tendu. Ces frappes sont l’occasion de critiquer le manque de cohérence dans la gestion française de la crise syrienne et l’absence de vision sur ce dossier. On questionne aussi la légitimité des frappes, d’un point de vue national et international, et on s’indigne du suivisme du Président Emmanuel Macron à l’égard des Etats-Unis où il effectue du 23 au 25 avril 2018 une visite d’Etat (la première visite d’Etat du mandat Trump). On dénonce le risque pour la France, au lendemain de ces frappes, d’offrir d’elle une « image empreinte d’unilatéralisme » (selon l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin). Au-delà du dossier syrien, on s’interroge sur la pertinence des choix stratégiques français au Proche-Orient.

On entend dire que la surmédiatisation du Président français « chef de guerre », qui devient vite un « chef va-t’en guerre » pour ses détracteurs, ne servirait pas la posture présidentielle, ni l’image de la France, surtout qu’elle vient alimenter toutes sortes de critiques en pleine tensions sociales et politiques. Les couacs diplomatiques, dont est responsable Emmanuel Macron personnellement, et qui lui ont valu d’être recadré par Washington (re : la présence militaire américaine en Syrie) et Ankara (re : l’impact des frappes sur les relations entre la Turquie et la Russie), porteraient atteinte aussi à l’image de la France sur la scène internationale et au Moyen-Orient en particulier.

Pour ses détracteurs, et surtout ceux qui la désignent désormais comme appartenant au camp des « ennemis » (Iran, Syrie, Hezbollah), la France manque de profondeur stratégique sur les dossiers du Moyen-Orient. Elle change constamment ses positions, et s’accommode de son statut de partenaire de seconde zone des Etats-Unis. Même la presse américaine s’interroge, à la veille de la visite d’Etat de Macron aux Etats-Unis, sur l’intérêt pour la France de se rapprocher autant de l’administration Trump. The Atlantic (17 avril 2018) n’y va pas par quatre chemins en annonçant : « Emmanuel Macron Could Be Trump’s Tony Blair ».

Dans le contexte géopolitique présent, la proximité entre Macron et Trump rassure leurs alliés arabes communs

Paradoxalement, pour les alliés arabes de référence de Paris et de Washington (principalement l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Egypte, ou encore le Qatar), cette proximité entre l’Elysée et la Maison Blanche est porteuse de promesses et d’opportunités.

Suivant leur propre grille de lecture, réaménagée en fonction du contexte géopolitique actuel, Saoudiens, Emiratis et Egyptiens, pour se limiter à ces partenaires au sein du monde arabo-sunnite, la France présidée par Emmanuel Macron est un partenaire flexible et compréhensif. Surtout, c’est un partenaire qui adhère aux vues de Riyad, Abou Dhabi et Le Caire, et à celles de leur allié stratégique de référence : Washington. Pour un Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz (Prince héritier d’Arabie saoudite), ou un Mohammad Ben Zayed Al Nahyan (Prince héritier d’Abou Dhabi) ou un Abdel-Fattah al-Sissi (Président d’Egypte), « that’s music to their ears » …

Traditionnellement, et lorsqu’ils doutent de leurs relations avec leur allié de référence, Washington, les partenaires arabes de la France recherchent en se rapprochant de Paris une alternative de circonstances qui ne soit pas totalement pro-américaine et pas vraiment anti-américaine non plus. Dans le contexte géopolitique actuel, et après ce qu’ils considèrent comme la parenthèse Obama, ces partenaires arabes s’accommodent d’un partenariat avec un gouvernement français ancré dans le camp américain, avec un Président de la république en harmonie avec Donald Trump sur les dossiers du Moyen-Orient et qui dispose, de surcroît, d’un outil de défense suffisamment performant pour lui permettre d’assumer ses engagements stratégiques et militaires. Cela leur suffirait presque, même s’ils comprennent aussi les positions nuancées de la France et de l’Europe sur des questions stratégiques (notamment l’accord nucléaire iranien) dont le dénouement reste, à leurs yeux, aux mains de Washington ou de Moscou malgré les efforts entrepris par les Européens.

Cet engagement musclé de la France va-t-il lui profiter… commercialement ?

Alors que des parties internes et internationales, et des ONG, se mobilisent contre les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite, les EAU et l’Egypte, ces trois partenaires clés de la France au Moyen-Orient, semblent tout aussi intéressés par le potentiel technologique et militaire de la France. Leurs programmes de réformes économiques (ex : Vision 2030 en Arabie saoudite) pourraient offrir de nouvelles opportunités aux industriels français de la défense sur ces marchés (où le savoir-faire français et les technologies tricolores s’imposent aussi dans d’autres secteurs : les énergies renouvelables, l’archéologie, la culture, les loisirs, etc.). Lier les ventes d’armes à ces pays que l’on soupçonne de violations des droits de l’homme, aux réformes économiques, sociales et politiques qu’ils entreprennent, pourrait servir les intérêts industriels et commerciaux français sur ces marchés. Pour leur part, Saoudiens, Emiratis et Egyptiens sont demandeurs d’un plus grand rapprochement avec la France, maintenant que ce partenaire les rassure sur sa proximité raisonnée avec les Etats-Unis, sur ses positions pragmatiques sur les dossiers du Moyen-Orient, sur son potentiel technologique aussi bien évidemment.

Les frappes militaires en Syrie ont donc connu des « aléas techniques » dont on fait l’écho en boucle à Paris dans les milieux experts qui poussent leurs efforts de sur-explication jusqu’à annoncer des conséquences pour l’image de l’industrie de défense française et donc pour l’export. Concrètement, et dans les milieux militaires des pays arabes alliés, ces frappes sont venues confirmer la progression des capacités d’intervention militaire de la France et sa détermination à les engager pour la défense de ses intérêts communs avec ses partenaires et pour exercer, si besoin est, un certain droit d’ingérence…

L’Armée française, soutenue par une industrie de défense qui lui offre une précieuse autonomie technologique et stratégique, est active sur plusieurs autres fronts simultanément. Elle est en surchauffe par moment, et se retrouve sous de graves contraintes opérationnelles parfois aussi. Malgré cela, les Armées et les industries françaises permettent à la France de s’affirmer, dans le contexte géopolitique actuel au Proche et Moyen-Orient, comme une puissance crédible sur les dossiers chauds du moment. Cet outil militaire et technologique devient aussi un outil diplomatique et géopolitique au service de la France et de son Président qui fait le choix de se rapprocher de Washington (comme quoi « tout est désormais possible ») sans renoncer au dialogue avec la Russie, ni à sa volonté de préserver l’autonomie de son pays sur les dossiers les plus prioritaires sur l’agenda national.

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