Pour la France, l’enjeu en Iran est stratégique avant d’être commercial


Publié dans le numéro 26 de la LettreM.

A l’issue du sommet de Sofia (17 Mai), le Président français Emmanuel Macron a salué l’unité et la fermeté des Européens face aux Etats-Unis, qualifiant de « claires et fortes » leurs décisions prises sur des sujets qui sont « des tests de souveraineté » pour eux. Pour Macron, l’intérêt premier en Iran n’est pas commercial, et il n’est pas de prendre parti pour tel ou tel camp : pour lui, l’intérêt premier est « d’assurer la stabilité ». Toutefois ce discours, stratégique et cohérent, ne rassure pas la communauté française et européenne des affaires qui devient fébrile et perd confiance alors que la Commission européenne active (18 Mai) « la loi de blocage » avec l’espoir de protéger ainsi les entreprises européennes des sanctions américaines contre l’Iran.

Macron est conscient des limites de la réaction européenne et ne se fait pas d’illusions sur les chances des entreprises françaises à surmonter les sanctions américaines et à faire face à la concurrence russe et chinoise dans un contexte qui favoriserait Moscou et Pékin. La proposition, pour le moins cocasse, de son Ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire (20 Mai) de faire supporter à l’Union Européenne le coût d’éventuelles sanctions financières qu’imposeraient les Etats-Unis à des entreprises européennes pour leurs activités en Iran, serait, au mieux, une sorte de dédommagements versés par l’UE aux milieux d’affaires qui ont cru en sa capacité à les défendre sur ce marché fortement risqué.

Pour le Président français qui affirme que « nous n’allons pas devenir les alliés de l’Iran contre les Etats-Unis », les enjeux dépassent les seules dimensions économiques et commerciales. Les enjeux sont bien plus stratégiques et engagent la France comme puissance occidentale et comme leader de facto de l’Europe. Cela est visible à trois niveaux :

  • Dans l’évolution des rapports entre la France et l’UE d’une part, et les Etats-Unis de Donald Trump d’autre part : des alliés stratégiques dans le cadre d’une alliance voulue équilibrée par Paris (visite d’Etat du Président français aux Etats-Unis du 23 au 25 Avril).
  • Sur la voie Paris-Moscou : des contacts soutenus et un partenariat sur les dossiers communs voulu gagnant-gagnant par Macron (sommet Macron-Poutine les 24-25 Mai au Kremlin).
  • Au Moyen-Orient, où la France a pu guider les politiques européennes sur les dossiers stratégiques : cela va de la Palestine à l’Iran, en passant par la Syrie et la lutte contre le terrorisme.

Avec des choix stratégiques qu’elle assume et auxquels adhèrent par son biais les autres acteurs européens, Allemagne en tête, la France a su rester un interlocuteur crédible qui parle à (presque) tout le monde. Au Moyen-Orient, la France démontre sa capacité d’influence sur les acteurs régionaux et sur les grandes puissances, confirme son poids politique et diplomatique, et fait jouer aussi son rayonnement militaire. Le dossier iranien pourrait l’aider, s’il était exploité à bon escient, à conforter sa place de leader au sein de l’UE, et pas nécessairement face aux Etats-Unis. Surtout, il pourrait profiter à l’image de la France, chef de file de l’UE, auprès de ses partenaires arabes de référence, sans nécessairement devoir couper les ponts avec l’Iran.


Macron constate les limites de ses actions

Face à un Président américain dont le slogan est tout simplement « Make America Great Again » et face aussi à un Président russe à l’affût de toute occasion qui ferait de la Russie une puissance même régionale, Emmanuel Macron a vite compris les limites de ses actions. En effet, qu’il s’agisse de la guerre contre le terrorisme dont la France est un des moteurs, ou de l’accord nucléaire dont Paris cherche à sauver l’essentiel avec l’UE, ou encore du processus de paix israélo-palestinien que défendent les Français via le dialogue en vue d’un règlement équilibré et de la Syrie, sur tous ces dossiers, Macron n’avance plus face aux bulldozers américain et russe.

  • Mobilisée pour vaincre le terrorisme et l’Etat Islamique, la France a su trouver sa place au sein de la coalition internationale conduite par les Etats-Unis et leur puissante machine de guerre, réussissant à valoriser et son expertise militaire et sa capacité de projection sur la zone. Elle est même leader dans la guerre contre le terrorisme au Sahel, réussissant aussi à y associer des alliés européens (Allemagne etc.) et arabes (Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis). Malgré ses avantages comparatifs en termes de capacités d’actions, la France ne se fait pas d’illusion face aux capacités américaines massives, ni même à la mobilisation russe de moyens inédits pour combattre Daech sur le sol syrien.
  • Assis sur un strapontin en Iran, le Président français aurait offert de faux espoirs aux entreprises françaises et européennes sur ce marché, impuissant, tout comme l’UE, à vraiment défendre leurs intérêts face aux sanctions américaines, aux pressions arabes, et à l’offensive russe et chinoise. Après avoir espéré influencer la position américaine lors de sa visite d’Etat à Washington, il se rabat désormais sur une tentative de sauvetage des fondamentaux sur lesquels repose le JCPOA, tout en renonçant, pratiquement, à défendre le business français qui s’annonce (provisoirement) perdu en Iran. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de défendre une ligne équilibrée, mais il est clair que la politique franco-européenne envers l’Iran arrive désormais dans une impasse.
  • Sur le dossier israélo-palestinien aussi, la France, qui ne désespérait pas faire accepter par tous le langage de la raison, assiste, impuissante, à une complicité déraisonnée entre le Président Trump et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu qui barre la route d’avance à ses ambitions de paix juste. La France, dont le Président entend effectuer une tournée régionale pour vendre son projet de paix, reste présente sur ce dossier, mais d’une manière plutôt précaire.
  • Sur le dossier syrien (à l’ordre du jour, avec le dossier iranien, au sommet Macron-Poutine au Kremlin les 24-25 Mai), les limites de l’action française ont été démontrées bien avant l’arrivée de Macron à l’Elysée, comme en témoignent les tergiversations de son prédécesseur qui n’avaient d’égal d’ailleurs que la léthargie du prédécesseur de Donald Trump à la Maison Blanche. L’héritage qui revient à Macron en Syrie est lourd à porter, d’autant que la détermination et la capacité du Président Vladimir Poutine à faire usage de la force et de la violence sur ce terrain laissaient peu de place à la concurrence française. Les Français sont toujours sur ce dossier, même s’ils ne peuvent qu’admettre leur marginalisation de facto, sur les plans diplomatique, politique, militaire et économique (reconstruction).

 Comment jouer ce retour en force des deux puissances américaine et russe ?

Sur ces dossiers et sur l’ensemble des dossiers du Moyen-Orient où la France cherche, légitimement, à se trouver une place parmi les grands pour défendre ses intérêts et ceux de l’Europe aussi, le Président Macron sait qu’il doit continuer à rester proche des Etats-Unis sans trop s’éloigner de la Russie et qu’il doit maintenir ses alliances stratégiques avec les pays arabes sans trop se distancier de l’Iran. Comment va-t-il jouer ce retour en force des deux puissances américaine et russe au Moyen-Orient, sans se soumettre au diktat américain, et sans accepter les faits accomplis que tente d’imposer Poutine en Syrie et en Iran notamment ?

La France, qui dispose encore d’outils d’influence et de puissance divers et variés (diplomatiques, politiques, militaires, technologiques, culturels, économiques, etc.), se retrouve, progressivement donc, en position de leader parmi les pays européens, Brexit et Merkelisme aidant… Au Moyen-Orient, elle devrait pouvoir profiter de sa proximité avec les Etats-Unis et de son dialogue soutenu avec la Russie pour promouvoir ses choix politiques et aussi ses intérêts économiques. Elle gagnerait à le faire avec ses partenaires arabes de référence.

D’ailleurs, l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Egypte, le Qatar, le Maroc, le Liban, et d’autres aussi comme l’Irak et la Jordanie, gagneraient à leur tour de voir une France capable de leur offrir une alternative, même occasionnelle, pour les sortir de leur dialogue exclusif avec les Etats-Unis et/ou la Russie. Pour être en mesure de leur offrir cette alternative, ou encore pour qu’elle soit capable et disposée à appuyer leurs choix pris dans le cadre de leur dialogue avec Washington et Moscou, la France, leader au sein de l’UE, a besoin d’être soutenue par le camp arabe. Saoudiens, Emiratis, Egyptiens, Qataris etc., ont besoin d’être conscients de cet enjeu franco-européen et de ses implications pour leurs propres intérêts.

L’enjeu ici n’est pas commercial et économique, comme l’affirme bien le Président Macron en abordant le dossier iranien. Il est fondamentalement politique et stratégique. A la France, et aux partenaires arabes aussi, d’en tirer le meilleur.

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Nous vous proposons : Un récapitulatif des contrats français signés en Iran depuis l’accord nucléaire JCPOA.

 

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