Emmanuel Bonne à l’Elysée: un spécialiste du Moyen-Orient auprès du Président


Publié dans le numéro 50 de la LettreM.

C’est un fin connaisseur du Moyen-Orient, Emmanuel Bonne, qui succède à Philippe Etienne comme conseiller diplomatique du Président Emmanuel Macron. Le nouveau « sherpa » quitte son poste de directeur de cabinet du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian pour revenir à l’Elysée où il avait rejoint une première fois, en mai 2012, la cellule diplomatique comme conseiller pour l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et les Nations Unies. Doit-on voir dans la nomination à ce poste stratégique aux côtés du Président de la République de l’ancien Ambassadeur à Beyrouth, qui a aussi été conseiller à Téhéran et à Riyad, le signe d’un intérêt croissant de la France pour le Moyen-Orient et ses enjeux ?

Emmanuel Bonne accompagnait le MEAE Jean-Yves Le Drian représentant le Président Emmanuel Macron aux obsèques du Cardinal Nasrallah Sfeir à Bkerké le 16/05. JYLD et Emmanuel Bonne ont par la suite eu des discussions avec les dirigeants libanais sur les évolutions libanaises et sur le programme CEDRE.

Bonne, qui est à son nouveau poste depuis le 21 mai, perçoit l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient comme « un monde à la fois proche et compliqué » et où il estime que la France a « un rôle tout particulier à jouer » tel qu’il l’affirmait dans un entretien avec l’Association des Diplômés de Sciences Po Grenoble (juillet 2013). Il y a servi comme conseiller à l’Ambassade de France à Téhéran (2003-2006) et à Riyad (2006-2009), avant d’être nommé en juin 2015 au poste d’Ambassadeur au Liban par le Président François Hollande (2015-2017). Entre son poste de premier conseiller à Riyad et son poste d’Ambassadeur à Beyrouth, Bonne a servi près de quatre ans comme deuxième conseiller à la mission permanente française auprès des Nations Unies à New York, puis près de trois ans comme conseiller ANMO à la Présidence de la République sous François Hollande. Aurélien Lechevallier, conseiller diplomatique adjoint et spécialiste également du Moyen-Orient, quitte, lui aussi, la cellule diplomatique de l’Elysée pour l’Ambassade de France en Afrique du Sud. Son successeur devra travailler sous le contrôle d’un véritable expert sur la zone (Lechevallier, un ancien de l’Ambassade à Beyrouth, s’y trouvait le 24 mai encore pour poursuivre les dossiers bilatéraux).

Emmanuel Bonne, qui fut apprécié au Liban, s’alignait dans sa mission sur la stricte ligne de sa hiérarchie, et ne se permettait aucune liberté. Cela ne l’empêchait guère de prendre des initiatives et de faire remonter au cabinet du Ministre Laurent Fabius, puis à celui de son successeur Jean-Marc Ayrault, ses propositions sur le Liban bien évidemment, et sur le dossier syrien qu’il suivait déjà à partir de l’Elysée. On lui prêtait alors une tendance pragmatique sur le dossier syrien et sur celui du Hezbollah. Mais, sous Hollande, et dans un contexte géopolitique particulièrement houleux, l’action de la France sur le dossier syrien était pour le moins incohérente et inaudible, par manque de pragmatisme justement

D’ailleurs, la pensée dominante au Quai d’Orsay permettait peu de liberté sur le dossier syrien. Tout comme le contexte politique libano-libanais. Cela n’empêcha pas Bonne d’élargir ses contacts en dehors des seuls réseaux « élyséens » à Beyrouth ce qui lui permettait d’accéder à d’autres lectures de l’actualité régionale et syrienne que celles dans laquelle s’enfermait alors Paris.

Fidèle à François Hollande jusqu’à l’avènement du phénomène Macron, Bonne a mis ses relations libanaises au service du candidat de LREM, discrètement mais très efficacement. Il a assisté le candidat Macron dans l’élaboration de son agenda libanais, il s’affichait aux côtés du candidat de la LREM lors de ses rencontres officielles et lors de ses conférences publiques à l’occasion de sa visite en janvier 2017 au Liban où €148000 de dons ont été récoltés pour financer sa campagne présidentielle. Dans ce petit pays, l’ex-Ministre de l’Economie avait des connaissances, certes, et un solide noyau dur de contributeurs. Mais ce qui était perçu alors comme un encadrement officiel de la part de l’Ambassadeur nommé par le Président sortant, a dû aussi l’aider à se légitimer aux yeux des électeurs franco-libanais et français du Liban.

Après l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, Emmanuel Bonne était appelé à de nouvelles fonctions à Paris, comme directeur adjoint du cabinet du Ministre des Affaires étrangères et conseiller diplomatique. Aujourd’hui, deux ans après, il rejoint l’Elysée et sa cellule diplomatique qu’il dirigera après y avoir servi entre 2012 et 2015 au titre de conseiller Moyen-Orient et Afrique du Nord.

Emmanuel Bonne s’apprête à échanger son poste de dircab au Quai d’Orsay contre celui de sherpa à l’Elysée, alors que le pragmatisme semble prendre le dessus dans les choix de politique extérieure du Président Macron et de son MEAE Le Drian. Son job description dépasse le seul cadre de son domaine de spécialisation initial, mais sa nomination à ce poste stratégique au sein du pouvoir français ne peut être perçue comme neutre pour la politique étrangère de Paris.

Le spécialiste du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord qu’est Emmanuel Bonne préside désormais la cellule diplomatique qui conseille le Président en matière de politique étrangère, alors que Jean-Yves Le Drian, lui aussi fin-connaisseur, par la pratique, des intrigues moyen-orientales, est au Quai d’Orsay, et qu’un autre expert de la zone Bernard Emié (ex-Ambassadeur à Beyrouth lui aussi) est, lui, à la tête de la DGSE. Alors qu’il prépare dans l’urgence deux rendez-vous majeurs de la diplomatie élyséenne, le Conseil européen (fin juin) et le G7 (fin août), le nouveau sherpa sait qu’il sera très vite rattrapé par l’actualité moyen-orientale.

Sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, les dossiers qu’il aura à travailler pour le compte du Président, et qu’il coordonnera tout naturellement avec le Quai d’Orsay d’où il vient, sont nombreux, et complexes. Sur la plupart de ces dossiers, qui sont autant de défis pour lui et pour la Présidence, la position de la France semble questionnée : le Liban où Bonne prépare une visite présidentielle cette année, la Syrie où il tentera de maintenir la France dans le jeu malgré l’accumulation d’échecs sur ce dossier, l’Iran et le dossier nucléaire, la sécurité du Golfe et les relations entre Paris et ses partenaires arabes, Israël et la question palestinienne, l’instabilité en Libye, la guerre du Yémen, les évolutions en Algérie, l’Egypte, les questions de « valeurs » et de droits de l’homme.

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