Liban: Timidité arabe, opportunisme russe, et offensive iranienne. La France aux premières lignes


Publié dans le numéro 66 de la LettreM.

L’annonce par l’Iran d’un tir de lanceur spatial le 9 février 2020, couplée de la présentation d’un nouveau missile balistique d’une portée supérieure à 500km, a aussitôt été condamnée par la France qui a appelé la république islamique à « respecter pleinement ses obligations internationales ». C’est l’occasion aussi pour le Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères de rappeler, dans un communiqué le 9 février 2020, que « le développement du programme balistique iranien porte atteinte à la stabilité régionale et affecte la sécurité de l’Europe ».

La menace dépasse la zone du Golfe arabo-persique, où la France vient de lancer (avec les Pays-Bas) sa mission européenne pour sécuriser le détroit d’Ormuz EMSI (European Maritime Surveillance Initiative), et où son Président Emmanuel Macron venait de révéler, le 16 janvier 2020, le déploiement en Arabie saoudite de la Task Force Jaguar pour « réassurer » le royaume face aux menaces militaires en provenance de l’Iran.

En Méditerranée orientale, la France déploie son porte-avions Charles de Gaulle et son groupe aéronaval en soutien de l’opération Chammal contre Daech.

L’Iran voit d’un mauvais œil la montée en puissance des Armées françaises dans le Golfe et en Méditerranée, et le fait savoir. Dès le 18 janvier 2020, 48 heures après les vœux aux Armées du Président Macron, l’Iran réagissait aux propos présidentiels pour dénoncer deux erreurs « corrigeables » : le Golfe est « persique » et non arabo-persique selon le porte-parole du Ministère iranien des Affaires étrangères S.A. Moussavi, qui regrettait en même temps le déploiement de forces françaises sur la zone.

De plus en plus, la France se retrouve sur une ligne de démarcation entre l’Iran dont elle s’éloigne de facto, et ses partenaires arabes du Golfe dont elle se rapproche à nouveau à la faveur des opportunités géopolitiques. Cette ligne de démarcation traverse l’ensemble du Moyen-Orient pratiquement, et commence à s’étendre au-delà de cette zone géographique. Elle est de plus en plus visible au Levant, le long de l’arc chiite.

La France au Liban : Cohabiter avec les Iraniens et contenir les Russes

Au Liban, la cohabitation entre l’Iran et la France, bien qu’elle soit globalement apaisée, connaît depuis peu quelques difficultés. Le 10 février 2020, une altercation opposait une patrouille du contingent français de la FINUL, fort de quelque 700 soldats, et des habitants chiites pro-Hezbollah d’un village du sud-Liban. Un tel incident n’est pas en soi exceptionnel, mais son timing et son intensité (relativement aux précédents incidents avec les patrouilles de la FINUL) supposeraient que les Pasdarans entendent adresser un message clair à la France sur son rôle et sa présence sur la zone. L’Ambassadeur de France Bruno Foucher s’est rendu le même jour auprès de la Ministre de la Défense Zeina Akar Adra, sans attendre le vote de confiance du Parlement au gouvernement, alors que le commandant (italien) de la FINUL le général Stefano Del Col intervenait à son tour pour apaiser les tensions sur le terrain. Le 10 février toujours, l’Ambassade de France à Beyrouth annonçait « une coopération navale en profondeur » entre les plongeurs de l’Armée libanaise et ceux de la Marine nationale française à l’occasion de l’escale dans le Port de Beyrouth de la frégate Surcouf. Cet « entraînement aux travaux sous-marins, pour la sécurité des navires dans les espaces maritimes libanais » intervient alors que Total s’apprête à mener son premier forage dans les eaux territoriales libanaises, qui débutera au milieu de la ZEE (Bloc 4) avant d’atteindre plus tard dans l’année le sud (Bloc 9) où le contentieux entre le Liban et Israël reste une source de tensions.

La France reste engagée aux côtés du Liban dont elle défend la souveraineté et la stabilité. Cet engagement est culturel, social, politique, diplomatique, économique et militaire. Il contribue à ce que le Liban reste le Liban… Dans le bras de fer entre les Etats-Unis et l’Iran et qui se traduit par de forts clivages entre Libanais, la France a su trouver une place médiane grâce à sa capacité à « parler à tout le monde ». Son premier défi aujourd’hui, alors que la géopolitique régionale (accord nucléaire, Daech, deal du siècle, offensive russe, offensive turque, etc.) déstabilise le rapport des forces interlibanais, est de défendre sa présence et son influence afin de pouvoir continuer à défendre et ses intérêts au Liban et la souveraineté et la stabilité de ce pays. Pour cela, la France a besoin d’interlocuteurs crédibles au Liban. Elle a besoin avant toute chose de savoir qu’elle peut travailler avec un gouvernement capable de réformer le pays et de « travailler autrement » comme le répète l’ambassadeur Bruno Foucher qui a fait savoir très vite aux autorités libanaises que la France « soutiendra le Liban et son gouvernement ». Son homologue russe Alexander Zasypkin affiche sans ambiguïté le soutien de son pays au gouvernement de Hassan Diab, depuis avant le vote de confiance, confirmant l’opportunisme de Moscou lorsqu’il s’agit du Liban (comme ailleurs au Moyen-Orient). La France, qui est en mesure de mobiliser l’UE et le Groupe de Soutien International pour le Liban, mise toujours sur CEDRE et Rome-2 afin de véhiculer les aides économiques, financières et militaires au gouvernement libanais. L’adhésion de ses partenaires, et de ses rivaux aussi, et celle encore des institutions européenne et internationales, lui est ici indispensable. Mais encore, s’il y a un acteur dont elle devrait se méfier désormais au Liban, c’est bien la Russie. Son opportunisme lui permet de forcer les portes qui lui étaient restées longtemps fermées. Les efforts des pro-iraniens et des pro-syriens pour poursuivre l’isolement régional et international du Liban, en fait pour éloigner le pays de ses repères traditionnels qu’ils soient culturels, économiques, diplomatiques, militaires, sont l’occasion pour Moscou de poursuivre sa progression. Un nouveau défi, de taille, pour la France.

Le 11 février, le Parlement votait la confiance au gouvernement par 63 voix seulement. Le quorum a été assuré par l’ensemble des forces politiques qui comptent, y compris celles qui annonçaient leur opposition au gouvernement, et y compris celles liées à l’Arabie saoudite, aux Etats-Unis et à la France (et non seulement les parties liées à la Syrie, à l’Iran ou encore à la Russie). Cela est interprété comme étant le signal d’un arrangement en cours entre les acteurs régionaux et internationaux pour favoriser la stabilité du Liban, et pour donner sa chance au gouvernement (qui a aussitôt annoncé son intention de négocier avec le FMI malgré les réserves du Hezbollah).

Exigence et pragmatisme

La France est très exigeante à l’égard du nouveau gouvernement libanais. Mais elle est aussi pragmatique. Elle connaît les contraintes que subit ce gouvernement, et sait parfaitement les limites des pressions qu’elle pourrait exercer, elle-même et ses partenaires, sur le pouvoir actuel. La France connaît surtout les risques que de telles pressions ne finissent par jeter encore plus le Liban dans les bras de l’Iran et de la Russie, à moins de dissocier la scène libanaise du conflit irano-américain et d’organiser rapidement un tour de table engageant ses partenaires arabes et internationaux. Le 23 février, le Ministre français de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire affirmait, à partir de Riyad, que « la France se tient toujours prête à aider le Liban » et à le soutenir financièrement, dans un cadre bilatéral ou multilatéral, indépendamment de la confrontation entre l’Iran et les Etats-Unis… Une déclaration aussitôt bien accueillie à Beyrouth par le camp syro-iranien, et appuyée à Riyad par la confirmation faite par le Ministre saoudien des Finances Mohammad al-Jadaan sur la volonté du royaume de coordonner avec d’autres pays leur soutien au Liban « sur la base des réformes économiques » engagées par le gouvernement libanais.

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