Voyage d’Emmanuel Macron dans le Golfe : si court et si productif


Contrairement à ses prédécesseurs François Hollande, Nicolas Sarkozy et même Jacques Chirac, le président Emmanuel Macron a su maintenir des rapports assez équilibrés entre les dirigeants des trois piliers de la présence française dans le Golfe que sont les EAU, l’Arabie saoudite et le Qatar. Il a su le faire malgré les contraintes, et les tentations, choisissant systématiquement de faire passer les tempêtes successives : assassinat de Jamal Khashoggi, débordements de la guerre du Yémen, escalade avec l’Iran, crise du Qatar (dossier délicat dans lequel la France a refusé de s’enliser), tensions avec la Turquie, tensions sur les marchés énergétiques, inquiétudes à l’égard de l’offensive chinoise et russe, divergences sur la Syrie, divergences sur les Frères Musulmans, etc.

Respectant un subtil équilibre entre valeurs et intérêts, la France aura su rester présente sur la plupart des dossiers stratégiques intéressant ses partenaires arabes de référence : le président Macron était le seul dirigeant occidental à la Conférence régionale pour la coopération et le partenariat organisée par l’Irak en août dernier ; il a multiplié les initiatives en direction du Liban, de la Libye, et du Yémen ; la France a maintenu son engagement dans la guerre contre le terrorisme au Levant, en Syrie et en Irak, et assumé pleinement son rôle dans la sécurisation de la Méditerranée orientale et de la navigation dans le Golfe ; face aux menaces militaires directes visant ses partenaires saoudiens, la France a déployé des moyens, alors que les Etats-Unis se désengageaient relativement du royaume, offrant par la même occasion au prince héritier Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz, le 04/12 à Djeddah, la poignée de mains que les autres dirigeants occidentaux hésitaient à lui offrir depuis l’affaire Khashoggi, etc.

Sous Macron, et après une période de flottement et d’adaptation, la France a pu progressivement offrir à la nouvelle génération de dirigeants des Etats membres du Conseil de Coopération du Golfe ce dont ils attendaient d’un partenaire et allié dans un contexte délicat de transition et de transformation sur le plan interne, et dans un contexte géopolitique en pleine mutation. Ces évolutions internes, régionales et internationales qui ont sorti les Etats du Golfe de leur zone de confort traditionnelle, poussent leurs dirigeants à chercher d’autres garanties pour leur sécurité là où ils pouvaient les trouver. Macron a fini par comprendre les attentes d’un MBS, d’un MBZ et d’un TBH, permettant à la France d’affiner sa compréhension des enjeux qui motivent les nouvelles équipes dirigeantes arabes. La France a ainsi pu adapter son approche régionale et ses rapports avec ces dirigeants de sorte à servir au mieux les intérêts communs des diverses parties.

Courte mais si productive, la tournée du président Macron sur les partenaires arabes stratégiques de la France les 03-04/12, aura été l’occasion d’annoncer des contrats stratégiques fermes et de s’entendre avec MBZ, TBH et MBS sur une série d’accords et d’arrangements qui reflètent à la fois une compréhension mutuelle et une vision commune des évolutions régionales et internationales (les contrats militaires comprenaient 80 Rafale F4 et 12 Caracal aux EAU, et 26 hélicoptères à l’Arabie saoudite dont 20 H145 et six H160).

Cela était surtout visible aux EAU, où l’esprit du père fondateur l’émir Zayed Ben Sultan Al Nahyan aurait guidé la finalisation du contrat stratégique des Rafale F4 alors que les Emiratis célébraient le jubilé d’or de l’Etat fédéral. En effet, aux EAU, MBZ a confirmé le choix de son père cheikh Zayed au profit d’un partenariat stratégique avec la France, dans un contexte géopolitique et dans un contexte interne bien différents de ceux des années 70 et 80 (même si on retrouve aujourd’hui forcément des motivations similaires à celles qui ont déclenché et consolidé le partenariat stratégique franco-émirati sous Zayed : les politiques de l’administration démocrate à l’égard de la région dans son sens le plus large, y compris le désengagement hâtif d’Afghanistan et le manque de fermeté à l’égard de l’Iran, ou le flou entourant l’attitude de l’allié américain à l’égard d’Abou Dhabi et de Riyad et même de Doha, ou encore l’alternative que représente la France dans un tel contexte face à la susceptibilité grandissante à l’égard des Etats-Unis et devant l’offensive parfois contraignante de la Chine et de la Russie).

Avec ces références historiques qui obsèdent les esprits des dirigeants émiratis actuels, et alors qu’est célébré le 50ème anniversaire des EAU, une décision stratégique forte est prise au profit du partenariat franco-émirati avec la commande de 80 Rafale F4. Une telle commande, la plus importante remportée par la France à l’export, n’aurait été possible sans la transformation survenue progressivement, et parfois lentement aux yeux des partenaires arabes, au niveau de la compréhension de l’état d’esprit d’un MBZ, d’un TBH et d’un MBS, et des enjeux qui définissent leurs priorités et commandent leurs actions.

Une telle commande, avec ses significations politiques et ses implications géostratégiques, n’aurait pu être finalisée non plus sans une lecture commune des questions politiques, sociales et économiques, entre, d’une part, le président français (43 ans) qui peut prétendre à un deuxième mandat, et d’autre part, le prince héritier d’Abou Dhabi (60 ans) qui gouverne de facto les EAU et qui s’apprête à monter au trône officiellement, l’émir du Qatar (41 ans) qui a forcé son destin lui aussi en écartant son père et en s’imposant à la tête de l’émirat, et le prince héritier saoudien (36 ans) qui a provoqué un tsunami de changement à partir du premier cercle du pouvoir jusqu’à l’ensemble de la société et qui s’apprête lui aussi à succéder à son propre père.

Certes, des divergences de toutes natures existent entre Emmanuel Macron et ses partenaires arabes MBZ, TBH et MBS, et elles peuvent être profondes même. Il est également certain que les divergences existent et peuvent être elles aussi profondes entre les trois dirigeants arabes eux-mêmes, qu’elles soient de nature personnelle ou politique ou sociale. C’est d’ailleurs sa capacité à aplanir ces différences et ces divergences entre la France d’un côté, et ses partenaires arabes du Golfe de l’autre, qui aurait permis à Emmanuel Macron d’offrir de lui-même une image rassurante, et de la France, celle d’un partenaire nécessaire dans le contexte actuel interne à chacun des trois pays et dans le contexte géopolitique régional et international.

La décision de passer au président français qui achève son quinquennat la plus grosse commande militaire, et de contribuer ainsi directement à la consolidation de l’influence française dans la zone au moment où les EAU, le Qatar et l’Arabie saoudite sont déstabilisés par l’opacité du nouvel ordre régional et mondial qui s’installe, traduit parfaitement bien la place que MBZ accorde au partenariat entre les EAU et la France dans sa stratégie de pouvoir pour les années et les décennies à venir. Comme son père avant lui, son partenariat avec la France semble promis à survivre au passage de témoin entre sa génération et celle de ses successeurs.

L’état d’esprit de MBZ n’est pas très différent de celui de TBH et de MBS, même lorsque l’expression de leurs besoins respectifs diffère d’un dirigeant à l’autre. Concernant la France toutefois, on ne peut que constater le rapprochement des vues entre MBZ, TBH et MBS qui perçoivent, à des degrés différents certes, ce partenaire comme un partenaire crédible, nécessaire et valorisant. En effet, le contexte interne dans les Etats du Golfe et le contexte régional et international contribuent fortement à une proximité de vues entre eux lorsqu’il s’agit des relations avec la France.

Pour sa part, la France exprime, sans complexe et malgré les pressions et les contraintes, son intérêt pour un partenariat poussé avec ces pays. Elle montre une détermination à tirer parti d’un double contexte, interne aux pays arabes et régional, et rappelle, par la voix de son président qui affirmait au début de sa tournée dans le Golfe qu’« une part de notre sécurité se joue au Moyen-Orient », que ses trois priorités sur la zone sont « la stabilité régionale, la lutte contre l’islamisme radical et la promotion de l’attractivité de la France ». Un partenariat équilibré entre la France d’une part, et les trois piliers de l’influence française sur la zone : les EAU, le Qatar et l’Arabie saoudite, que les deux parties assument pleinement.

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