Emirats Arabes Unis – France: Une convergence durable (suite)


Les exemples où les intérêts d’Abou Dhabi et de Paris se recoupent, et parfois se confondent, sont nombreux. Dans une note datée du 03/11/16 [EAU – France : Une convergence durable], MESP s’était intéressée à la vision commune que les dirigeants émiratis et français avaient pour les dossiers stratégiques actuels, et à l’interprétation qui en était faite au niveau des relations stratégiques franco-émiraties. Parmi ces dossiers communs, la susceptibilité partagée à l’égard de l’islamisme militant et déstabilisateur. Au cœur de cet enjeu, les Frères Musulmans. Si la confrérie est plus ou moins tolérée en France par les autorités pour des considérations diverses et variées, elle est désignée par Abou Dhabi comme l’ennemi à abattre. Cela se traduit par des tensions entre les EAU et le Qatar qui soutient les FM, et par des relations précaires entre les EAU et la Turquie. Cela se traduit aussi par une consolidation des relations entre les EAU et l’Egypte du Président Abdel-Fattah al-Sissi qui voit dans les FM une organisation terroriste. Paris soutient la vision de ses alliés Emiratis et Egyptiens, ailleurs que sur le territoire français, et comprend celle de son autre allié Qatari, y compris en France. La gestion de ce dossier est particulièrement délicate dans les relations franco-émiraties (et franco-égyptiennes).

Certes, ce dossier ne résume pas à lui seul les relations entre les deux partenaires stratégiques, loin de là. Mais, ce dossier, celui des FM, est en filigrane de la relation entre ces pays et la France depuis le début des crises des printemps arabes qui ont déstabilisé la région et peut constituer un différend majeur dans leurs relations. En effet, souvent instrumentalisés par la confrérie, ces épisodes révolutionnaires furent perçues comme des mouvements démocratiques par certains diplomates français d’inspiration néoconservatrice qui considéraient alors comme normal que les Frères Musulmans fassent enfin l’expérience du pouvoir dont ils avaient toujours été privés. Cette approche irénique n’est évidemment pas celle des responsables Emiratis ou Egyptiens qui perçoivent la confrérie comme un danger mortel, les printemps arabes n’étant à leurs yeux qu’une tentative des Frères Musulmans de renverser des pouvoirs fragilisés par les agitations urbaines pour en retour installer des théocraties totalitaires.

Un changement de politique à l’égard des FM de la part de la France impacterait forcément son partenariat avec les Al Nahyan, et affecterait, sans aucun doute, l’action commune menée par Abou Dhabi et Paris régionalement. Le rejet des FM et la lutte contre cette organisation ennemie ne sont pas négociables pour les dirigeants émiratis. Doivent-ils redouter un manque de solidarité française sur ce dossier ? La nomination d’un nouvel Ambassadeur français à Abou Dhabi, Ludovic Pouille, pour remplacer Michel Miraillet, doit-elle les inquiéter ?

Le jeune diplomate, dont c’est le premier poste comme Ambassadeur, connaît bien la région Afrique du Nord Moyen-Orient : il a été en poste au consulat de Jérusalem (à New York aussi) et il a occupé le poste de directeur adjoint ANMO au Ministère des Affaires étrangères. Celui dont on dit qu’il est le « fils spirituel » de l’Ambassadeur Denis Pietton (décédé en décembre 2015, ancien Ambassadeur à Beyrouth et ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius), a eu à traiter les dossiers syrien, libyen, égyptien, yéménite. Forcément, il s’est intéressé de très près au « printemps arabe », et à ses révolutionnaires, parmi lesquels les Frères Musulmans, là où ils ont pu sévir comme en Egypte, et là où ils sévissent toujours actuellement comme en Libye, au Yémen et surtout en Syrie. Ce jeune diplomate, qui concentre des témoignages élogieux à Paris, peut avoir une sympathie personnelle pour les «printemps arabes »,  comme en témoignent ses prises de position sur les réseaux sociaux mais, dans le contexte national actuel et dans le contexte moyen-oriental, on le voit mal afficher ou entretenir une réelle sympathie pour les « révolutionnaires » étiquetés Frères Musulmans.

En effet, et pour se limiter au seul exemple syrien, ce jeune diplomate de l’ANMO fait partie de la nouvelle génération de diplomates assez « mainstream » lorsqu’il s’agit du « printemps arabe » et du dossier syrien. Pour autant, le prochain Président français, quel qu’il soit, accordera une priorité certaine aux relations entre la France et son partenaire stratégique émirati, ce qui réduirait, forcément, la marge de liberté intellectuelle de la nouvelle brigade de diplomates dispatchés sur la zone. Les principaux candidats à la présidence sont parfaitement conscients de la place qu’occupe Abou Dhabi dans la stratégie d’influence régionale de la France, et ne pourront tolérer aucune maladresse diplomatique, aussi banale fusse-t-elle, à l’égard des Al Nahyan, surtout sur la question des FM.

Le Prince héritier d’Abou Dhabi et vice-commandant des Forces armées fédérales cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan gère, personnellement, ce dossier, et sa susceptibilité à l’égard de la confrérie, de ses soutiens et de ses sympathisants, n’a jamais été aussi grande…D’ailleurs c’est sans doute lui même qui ne pourrait accepter de la part d’un diplomate étranger en poste dans son pays la moindre complaisance pour les FM qu’il considère comme une menace existentielle pour les Emirats, complaisance qui, si elle se révélait, pourrait mettre en risque ce partenariat stratégique …. en application de ce vieil adage : les amis de mes ennemis sont mes ennemis…

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