Critiques à Eurosatory contre Rosoboronexport : le poids du CMI russe dans la crise syrienne

par Fadi Assaf.

Vu du Moyen-Orient, le complexe militaro-industriel russe est particulièrement visible et son influence est évidente sur la politique régionale de Moscou. Il est facile de saisir l’importance que le dirigeant arabe veut accorder au CMI dans la conduite de la diplomatie russe, et dans l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies de positionnement de la Russie sur une zone aussi sensible et stratégique que le Moyen-Orient. Aux yeux des dirigeants arabes et pour le décideur lambda, le CMI russe paraît ainsi maîtriser l’ensemble du jeu politique de Moscou sur le plan international et moyen-oriental, dans l’ombre des dirigeants politiques et des centres d’influence économiques, commerciaux, énergétiques, médiatiques, diplomatiques, etc.. Dans l’ombre du pouvoir politique et des centres économiques, ou parfois aussi sur le devant de la scène. S’il y a un pouvoir à approcher à Moscou, ce serait le CMI. Les dirigeants et responsables arabes en sont convaincus, surtout lorsqu’ils sont incapables de saisir la complexité du pouvoir politico-économique en Russie, et surtout aussi lorsqu’ils sont eux-mêmes issus d’un milieu militaro-sécuritaire. C’est donc naturellement vers l’industrie de défense que les pétromonarchies arabes du Golfe ont cherché à se tourner, le plus souvent, en espérant s’attirer les faveurs de Moscou, comme lorsqu’il s’agit d’obtenir l’adhésion de la Russie à une entreprise collective, ou encore pour espérer le rééquilibrage des relations russes entre les deux rives du Golfe arabo-persique. Pratiquement, Koweïtiens, Emiratis et Saoudiens, avec les moyens qu’ils ont, font miroiter des marchés aux industries militaires russes, et vont parfois jusqu’à la conclusion de contrats d’armement avec Moscou. Les industries militaires et sécuritaires russes jouent le jeu d’Abu Dhabi (IDEX), de Dubaï (Dubai Air Show) ou encore de Doha (Milipol-Qatar), et participent, volontiers, aux manifestations internationales organisées par ces pays pour se promouvoir en tant que plateformes régionales et internationales pour de tels secteurs stratégiques. Rosoboronexport, l’agence en charge des exportations militaires russes, un des piliers du CMI, devient, de facto, un des principaux interlocuteurs du monde arabe.

Le Koweït, les Emirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite, donnent donc des contrats au CMI dans l’espoir de gagner son soutien, à Moscou et internationalement, mais ces contrats restent marginaux comparés aux dépenses militaires de ces pays et eu égard de leurs engagements stratégiques envers leurs partenaires traditionnels. Les Russes prennent la part de marché qui leur est accessible, vu le poids pesant des Etats-Unis et de leurs alliés, mais ont besoin de bien plus pour que la contrepartie offerte aux partenaires arabes soit significative… Le CMI connaît parfaitement la marge de manœuvre des pétromonarchies arabes du Golfe vis-à-vis les partenaires américains, et se contente d’en tirer un maximum d’avantages économiques et commerciaux. Sur des marchés qui leur sont plus ouverts, les données sont différentes : on pense notamment à l’Iran, au Soudan, à l’Algérie, à l’Irak, à la Syrie. Ces marchés, porteurs pour certains et moins porteurs pour d’autres, subissent une série de contraintes, d’ordre bilatéral ou international (embargo), tout en offrant des opportunités que les Russes ne voudraient pas manquer de saisir. L’avantage est double, comme pour tout fournisseur d’armes international : des retombées financières et industrielles immédiates, et une consolidation de l’influence de la Russie en termes militaires, stratégiques, diplomatiques et politiques.

Aujourd’hui, « l’axe syro-iranien » offre ce double avantage au CMI russe : ventes d’armes et influence. Les pressions vont grandissantes sur Moscou, de la part de Washington et de ses alliés pour obtenir l’arrêt des ventes d’armes russes à Téhéran et à Damas. Sans grand effet encore aujourd’hui, les deux critères qui sous-tendent la stratégie russe, les retombées financières et l’influence, étant toujours respectés. Défendant sans aucune hésitation les options politiques et stratégiques de son pays envers « l’axe syro-iranien », à partir de Téhéran où il se trouvait, le Ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov a défendu les livraisons d’armes russes « défensives » et « réglées d’avance » au régime du Président Bachar el-Assad, sans tenir réellement compte des critiques américaines et occidentales. Un « camp anti-russe » est en train d’émerger, une sorte « d’axe » visant à contrer « l’axe syro-irano-russe », et qui commence à agir directement à plusieurs niveaux, politiques, diplomatiques, médiatiques, économiques : ainsi, l’annulation le 12/06 par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Riyad d’une rencontre avec une mission économique et commerciale russe, alors que des appels étaient lancés par l’Opposition syrienne pour organiser des manifestations devant les représentations diplomatiques russes à travers le monde, et alors que l’implication d’hélicoptères de fabrication russe dans les opérations militaires menées par le régime syrien contre les rebelles est dénoncée à Washington…

Le CMI, qui doit penser dès à présent à sa participation à IDEX, Dubai Air Show, et MILIPOL-Qatar, et à la suite des contacts menés avec plusieurs pays de la région pour des programmes d’armement aussi mineurs soient-ils, commence à être visé à son tour par les critiques : l’appareil sécuritaire et militaire russe, dont l’action sur des théâtres d’opérations spécifiques (Tchétchénie, etc.) peut être dénoncée par les parties islamistes radicales et par des pays arabes conservateurs, commence à être critiqué pour son soutien présumé au régime syrien ; plus clairement aujourd’hui, Rosoboronexport, le partenaire officiel des Etats et des industriels (dont Thalès qui vient de signer un contrat avec l’agence russe pour l’équipement de chars russes en caméras thermiques, après des rumeurs sur un programme similaire au profit des Syriens au cours des dernières années et qui n’a finalement pas pu voir le jour), est ouvertement critiqué par les ONG pour son rôle supposé dans le massacre des civils en Syrie (critiques entendues à Eurosatory et reprises par les médias parisiens et internationaux). Devant les enjeux géopolitiques actuels, qui prennent le dessus sur les enjeux financiers et économiques, il faudrait bien davantage aux Russes et à leur CMI pour fléchir…

 

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