Par Fadi Assaf.
La Libye est, quelque part, un cas d’école. Les défections autour du colonel Moammar Kadhafi, et les « exfiltrations » par les services alliés de proches collaborateurs du régime, ont contribué, à l’évidence, à l’accélération de la chute du clan. Un rapprochement, simpliste, est fait entre la Libye et la Syrie, depuis la fuite vers la Jordanie d’un colonel de l’Armée de l’Air syrienne à bord de son MiG-21 et depuis surtout la fuite vers la Turquie du général Manaf Tlass. Des défections ont eu lieu, y compris parmi des hauts gradés de l’Armée, mais celles-là sont particulièrement spectaculaires. Si on attribue celle du pilote du MiG-21 qui s’est posé en Jordanie, à une contribution des services de renseignements jordaniens et britanniques, on est tenté d’établir un lien entre celle du général Tlass et une éventuelle contribution des services de renseignements turcs et français.
En tout cas, le numéro trois de la Garde républicaine, intime du Président Bachar el-Assad, était annoncé à Paris, dès le 06/07, par le Ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius. Son frère, l’homme d’affaires Firas Tlass, qui a su profiter des largesses du système, est à Paris depuis quelque temps déjà. Sa sœur Nahed, (jeune) veuve du marchand d’armes Akram Ojjeh, et qui a su se montrer généreuse avec la gauche française du temps où son ami Roland Dumas était au Quai d’Orsay, est elle-aussi à Paris où elle suit de près ses procès avec les fils de son mari défunt pour élargir ses parts de l’héritage… Leur père le général Moustapha Tlass, ancien Ministre de la Défense de l’ex-Président Hafez el-Assad dont il fut le compagnon pendant des décennies, est installé, lui-aussi, à Paris. Cette famille, ainsi « recomposée » à Paris, retrouve d’autres exilés syriens, qui ont tous en commun d’avoir contribué à l’édification du système sanguinaire et dictatorial qui sévit aujourd’hui, après avoir sévi au Liban pendant plusieurs années. Il y a l’ancien vice-président Abdel-Halim Khaddam, de confession sunnite comme les Tlass, mais qui a été « retourné » très vite par l’Arabie saoudite, peu après la mort de Hafez el-Assad auquel il espérait succéder. Le montage, toléré, sinon encouragé, par une partie de la communauté internationale (ainsi, l’ancien Président français Jacques Chirac, unique chef d’Etat occidental à avoir fait le déplacement en Syrie pour les obsèques du père Assad, a tenté de « parrainer » Bachar el-Assad, alors que son successeur Nicolas Sarkozy a invité M. et Mme Bachar el-Assad à sa tribune présidentielle un 14 Juillet sur les Champs-Elysées..), et qui a permis à Bachar el-Assad de devenir, à 34 ans, Président de la république après son père, a coupé court aux ambitions de Khaddam et de ses sponsors saoudiens et de sa communauté sunnite. A Paris se trouve aussi un autre vice-président syrien, Rifaat el-Assad, connu pour ses « exploits » à Hama en 1982, lorsque son frère Hafez el-Assad lui confia la mission d’étouffer la rébellion sunnite au prix de quelque 30.000 morts.
Ces exilés parisiens, sunnites soient-ils ou alaouites, ont en commun d’avoir servi le régime du Baath qu’ils dénigrent aujourd’hui, d’avoir sévi directement contre les populations syriennes (et libanaises, ou aussi palestiniennes), d’avoir été écarté du système (Abdel-Halim Khaddam, Rifaat el-Assad, Moustapha Tlass) ou d’avoir vu leurs ambitions, au sein du système, carrément bloquées (c’est aujourd’hui le cas de Manaf Tlass), et de s’être considérablement enrichis, illégalement bien entendu. Ils ont en commun aussi d’avoir été accueillis, sans hésitations, à Paris. Certains d’entre eux pouvaient être considérés, à un moment donné, comme des alternatives au clan Assad (Khaddam), ou tout au moins comme un contrepoids « familial » au Président Bachar (Rifaat el-Assad). Dépassés par le temps, et pour certains d’entre eux, par une incohérence vérifiée, ces exilés parisiens ont finalement été supplantés par d’autres noms, plus « parisiens » : Borhan Ghalioun, Bassma Kodmani-Darwich, etc., qui ont été, à leur tour, court-circuités par d’autres personnalités plus légitimes d’un point de vue syrien, mais moins… « parisiens »… Le Ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius pensait utile d’annoncer l’arrivée du nouveau dissident Tlass à Paris, alors que s’y tenait la Conférence des amis du peuple syrien, pour appuyer, en quelque sorte, le rôle de la France dans les évolutions syriennes. Le général Manaf Tlass, attendu à Paris, a été accueilli « diplomatiquement » par le gouvernement français. Il a été « accueilli » par le Conseil National Syrien qui n’a pas exclu de « coopérer » avec lui… Manaf Tlass serait-il l’alter-ego syrien du vice-président yéménite Abed-Rabbo Mansour Hadi qui a finalement succédé, grâce à l’arrangement saoudo-américain, à Ali Abdullah Saleh à la tête de l’Etat ? Tlass a toutes les « qualités » requises : il a lâché à temps le navire chancelant ; il est sunnite ; il est issu de l’Institution militaire ; il a un réseau étranger ; etc. Mais il a aussi les « défauts » qu’il faut pour ne pas réussir dans cette entreprise… Choisira-t-il de s’ériger en « champion » du changement, avec les encouragements de Paris ? Sera-t-il réellement accepté par l’Opposition syrienne et par les acteurs régionaux impliqués dans la crise ? Ou suivra-t-il l’exemple de son père qui profite de la fortune amassée par la famille pour mener une retraite paisible (anticipée dans le cas de Manaf) à Paris ?