Par Fadi Assaf.
Entre deux visites à Londres et à Washington, ou encore à Riyad, le roi de Bahreïn cheikh Hamad Ben Issa Al Khalifa est venu prendre contact avec le nouveau Président socialiste français François Hollande qui poursuit ses rencontres avec les dirigeants du monde arabe depuis son élection à la présidence. Cheikh Hamad, accompagné de son Ministre des Affaires étrangères cheikh Khaled Ben Ahmad Al Khalifa, ancien ambassadeur à Londres, a donc été reçu, plutôt discrètement, le 23/07, par François Hollande. Pour les dirigeants bahreïnis, dont les points de chute, en Occident, restent incontestablement Londres et Washington, l’ouverture sur Paris s’imposerait pour des raisons internes et pour des raisons d’image.
Le petit royaume de Bahreïn héberge depuis toujours le siège de la 5ème Flotte américaine. Il est relié au grand royaume saoudien voisin par le pont du roi Fahd, un pont stratégique (rebaptisé « Johnny Walker Bridge » par la jeunesse saoudienne en quête d’une relative liberté les weekends à Manama) qui a montré son utilité militaire au cours des derniers mois avec le déploiement des unités saoudiennes (agrémentées pour la forme d’unités d’autres pays du Conseil de Coopération du Golfe) pour contenir le soulèvement des populations chiites. Les Al Khalifa, qui comptent sur les largesses de Riyad pour financer leur gouvernance incertaine, ont jeté d’autres ponts en direction de la famille des Al Saoud avec notamment un important mariage, celui de la fille du roi Abdullah Ben Abdulaziz avec le fils du roi Hamad Ben Issa Al Khalifa. L’envahissant voisin saoudien, qui maintient ses forces armées et de sécurité à Bahreïn, est allé encore plus loin dans son souhait de « pacifier » le royaume des Al Khalifa. Il a pensé à une union, bien plus profonde que celle entre deux êtres humains, une union entre les deux royaumes, carrément.
Réagissant à chaud aux évolutions internes à Bahreïn et aux pressions extérieures, Abdullah pensait faire un forcing en direction d’une intégration plus large des pétromonarchies au sein du CCG, une intégration qui placerait, naturellement, l’Arabie saoudite, au cœur du nouvel ensemble. Seul Bahreïn semble disposé, par la force des choses, à envisager une telle union. Les deux royaumes se retrouvent en tête à tête dans ce projet, les quatre autres membres du CCG, le Koweït, les Emirats Arabes Unis, le Qatar et Oman, préférant préserver leur liberté, tout en n’excluant pas une coopération multilatérale plus large, en fonction des impératifs et des priorités. Les Saoudiens pensent ainsi « assimiler » le problème chiite de Bahreïn, même au prix d’une exacerbation des tensions avec la république islamique d’Iran, alors même que leur propre problème chiite, interne, dans la stratégique Province Orientale, émerge à nouveau aujourd’hui.
Concrètement, par son union avec l’Arabie saoudite, toujours théorique aujourd’hui en dépit de la présence militaire saoudienne à Bahreïn et des arrangements politiques et financiers saoudo-bahreïnis, le pouvoir bahreïni peut espérer « diluer » son problème avec sa majorité chiite. Le pouvoir saoudien pense « neutraliser » la problématique bahreïnie, qui risque de s’imposer à Riyad avec ses deux dimensions iranienne et chiite. Finalement, et en attendant une hypothétique union, les deux parties se sont résolues à des demi-mesures, avec un déploiement militaire permanent de forces saoudiennes et sunnites à Bahreïn, une séparation de facto des problèmes chiites dans chacun des deux pays, et une consolidation de l’axe anti-iranien de Riyad à Manama. Cela n’est que provisoire, et l’instabilité se poursuit à Bahreïn pour se limiter à ce seul pays, et la violence aussi.
Le forcing saoudien, accepté par le pouvoir sunnite minoritaire de Bahreïn, a provoqué quelques remous dans le camp occidental, et même chez l’allié américain, sans plus. Il est dénoncé par les Iraniens bien entendu, ce qui attise encore plus les tensions entre les deux rives du Golfe. Progressivement, Bahreïnis et Saoudiens ont voulu « normaliser » la situation, et « banaliser » cette solution violente, qui aurait provoqué, en d’autres lieux, une mobilisation internationale… Les violations des droits de l’homme sont monnaie courante à Bahreïn, et la dictature saoudo-bahreïnie impose son diktat. Amnesty International et les organisations des droits de l’homme engagent des actions qui montent en puissance, et qui risquent de ternir l’image du royaume de Bahreïn. Pour les Saoudiens, il y a un double risque de contagion : le risque de voir le soulèvement des Chiites de Bahreïn encourager et alimenter les agitations qui s’intensifient au sein des populations chiites saoudiennes, et le risque de médiatisation de cette implication directe des forces saoudiennes dans la répression de la majorité chiite de Bahreïn.
Devant cette impasse, la violence croît à Bahreïn, et le pouvoir, qui débloque des budgets de lobbying relativement importants pour défendre son image aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, doit juger utile de faire son lobbying également en France, le pays des droits de l’homme, et de l’interventionnisme humanitaire, et de Bernard-Henri Levy…