FLASH: Guerre de réseaux au Liban. Suite.

Middle East Strategic Perspectives a été le témoin direct de l’attentat qui a coûté la vie le 19/10 au chef des Services de Renseignement des Forces de Sécurité Intérieure le général Wissam el-Hassan, dans une ruelle sombre du quartier chrétien d’Achrafieh, à l’est de Beyrouth. Le général Wissam el-Hassan, contre lequel la campagne de dénigrement télécommandée à partir de Damas n’a cessé de s’amplifier au cours des dernières semaines (comme en témoignent les éditos particulièrement virulents du journaliste Charles Ayoub, propriétaire du quotidien beyrouthin Addiyar), était le pilier du dispositif de sécurité du camp haririen pro-saoudien et anti-syrien, et le fer de lance de la guerre menée à partir du Liban contre le régime de Bachar el-Assad (lire notre FLASH : Syrie vs Arabie saoudite : Guerre de réseaux au Liban).

Il a été assassiné quelques heures après son retour au Liban, possiblement d’Arabie saoudite (où se trouve l’ex-Premier ministre et chef du Courant du Futur Saad Hariri sous la protection des autorités saoudiennes) ou de Paris (où se trouve sa famille sous la protection des autorités françaises), et alors qu’il se rendait de la direction des FSI qui se trouve dans un quartier hyper-sécurisé non loin de sites français sensibles (Ambassade, Consulat, Lycée, Hôtel-Dieu, Université Saint-Joseph) vers son pied-à-terre qu’on a choisi pour lui à Achrafieh, dans une des tours du complexe Saint-Georges, pour des raisons de sécurité. Il a pour voisin de bureau et d’immeuble aussi son chef direct le DG des FSI le général Achraf Rifi, officier sunnite comme lui et autre pilier du dispositif de sécurité du camp du 14 Mars et du clan Hariri.

A vol d’oiseau, la distance entre la direction des FSI et la résidence provisoire de Hassan, qui se situent toutes les deux donc dans un périmètre sécurisé et au cœur d’une zone qu’on peut qualifier de neutre si l’on se place dans la logique d’une fitna entre Sunnites (clan Hariri) et Chiites (Hezbollah), est de 400 mètres environ. Pour joindre les deux points géographiques, qui ne doivent plus être perçus comme tombant dans une zone neutre si on adopte une logique de confrontation entre les deux camps du 8 et du 14 Mars avec leurs ramifications internes (deux camps chrétiens) et externes (Syrie – Iran – Arabie saoudite, etc.), ne doit pas dépasser la dizaine de minutes par voiture. Pour Hassan, comme pour Rifi d’ailleurs,  plusieurs options sont possibles pour se rendre de la direction des FSI aux Tours Saint-Georges, dont trois possibilités via une même rue principale d’Achrafieh, la rue Adib Ishac truffée de caméras de surveillance : deux d’entre elles sont en sens interdit mais offrent un accès direct et rapide, et une troisième, celle empruntée ce 19/10 par le convoi banalisé de Hassan, via une petite ruelle que n’empruntent que les riverains pratiquement.

MESP a donc été le témoin direct de cet attentat qui a provoqué une très forte déflagration d’autant que le souffle de l’explosion était amplifiée par l’exiguité de la rue et la proximité des immeubles. Panique générale, victimes et blessés gisant par terre, voitures en feu… Traumatisés par d’autres attentats à la voiture piégée qui ont dévasté ce même quartier pendant les années de guerre, les habitants et les commerçants pensaient immédiatement à un attentat gratuit, qui visait un environnement aujourd’hui stable pour fragiliser la communauté chrétienne dont c’est un des fiefs à Beyrouth, dans le cadre de ce complot qu’on redoute tant et qui vise à porter le conflit syrien vers le Liban (FLASH : Syrie : Qui veut exporter le conflit syrien vers les pays voisins?). Ce n’est que plusieurs heures après l’explosion qu’ils ont appris l’assassinat, en pleine zone chrétienne, une zone qu’ils voulaient “neutre” dans un conflit qu’ils voyaient pourtant venir vers eux, du général sunnite pro-haririen et anti-syrien Wissam el-Hassan. Les voilà donc au cœur de la fitna entre Sunnites et Chiites et au cœur de la guerre de renseignements qui oppose la Syrie et l’Arabie saoudite avec ses dimensions internationales que l’on devine aujourd’hui de plus en plus.

A qui profite le crime? Le régime syrien profite certainement de la déstabilisation du camp adverse suite à une telle perte, et gagne sans aucun doute à voir les services de renseignement et de sécurité libanais les plus engagés contre lui et au profit des insurgés avec le soutien politique et opérationnel des Saoudiens et pas seulement, décapités avec la disparition de leur chef. Hassan, qui a perdu un de ses officiers, Wissam Eid, chargé de l’aspect technologique de l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri, mort assassiné en janvier 2008, coordonnait cette enquête et celles sur d’autres assassinats de personnalités anti-syriennes. Il supervise, via son service, tous les aspects liés à la sécurisation des personnalités et des réseaux engagés dans son propre camp politique, jusqu’a devenir, avec les FSI, une sorte de bras armé du camp du 14 Mars. Son ‘job  description’ officieux porte aussi sur la lutte contre l’espionnage israélien, syrien et iranien, mission qu’il partage avec la Direction du Renseignement de l’Armée et son unité du contre-espionnage. Plus discrètement, les SR, tels que restructurés par Rifi et Hassan, chapeautent aussi la coordination des actions sur le terrain, au Liban mais aussi en Syrie et en Turquie, menées conjointement avec des services amis, parmi lesquels bien évidemment les services de renseignement saoudiens bien représentés à Beyrouth par l’Ambassadeur al-Assiri, officier de carrière, spécialiste de la lutte contre le terrorisme, et autrefois basé à Islamabad.

Tout cela amène naturellement Hassan et son service à jouer un rôle pivot dans le bras de fer engagé autour de la Syrie, et auquel s’invitent les services locaux, régionaux et internationaux. Cet officier, stricte et professionnel, même si ses adversaires lui reprochent son engagement politique au profit du camp Hariri et de l’Arabie saoudite, plaît à ses interlocuteurs étrangers, dont la CIA, très impliquée dans les dossiers régionaux, et la DGSE qui semble s’impliquer de plus en plus dans le dossier syrien. Simple coïncidence peut-être, mais MESP n’a pas manqué de constater la présence sur les lieux de l’attentat, quelques petites minutes après l’explosion, d’un officier français en treillis militaire… Hassan était devenu très important pour le “sunnisme politique” et pour la cohésion du camp haririen et pour sa sécurité, comme il devenait central dans le jeu géopolitique régional. Son élimination est une perte considérable pour le camp Hariri et pour le Mouvement du 14 Mars, et c’est un coup dur porté aussi pour la toile sécuritaire tissée par une convergence de vues et d’intérêts entre acteurs régionaux et puissances internationales. Son assassinat profite au régime syrien, puisqu’il déstabilise l’appareil sécuritaire et militaire adverse engagé contre lui à partir du Liban, et qu’il peut brouiller aussi les enquêtes menées avec une assistance extérieure sur d’autres actes terroristes pouvant impliquer Damas et ses relais locaux. La fragilisation du système politico-sécuritaire du 14 Mars et du camp Hariri profite, naturellement, au camp politique adverse au Liban, celui du 8 Mars gravitant autour du tandem chiite Hezbollah-Amal. Mais cet assassinat d’une personnalité sunnite de premier plan, qui incarne une certaine puissance militaire sunnite face aussi bien à l’arsenal du Hezbollah chiite pro-iranien qu’à la machine de guerre du régime alaouite syrien, profite surtout à ceux qui espèrent attiser la fitna confessionnelle sur la scène libanaise.

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