Fadi Assaf.
A Paris, l’Ambassadeur du Qatar Mohammad al-Qawari annonce que les Fonds souverains qataris évaluent l’opportunité d’investir €10md dans les sociétés industrielles françaises, un recyclage bienvenu des pétrodollars dans l’économie française, après l’annonce d’un fond pour financer le développement des banlieues, et après une série d’investissements couvrants divers secteurs économiques. Le Qatar, version Al Thani, est tout sauf une démocratie. Les Français le savent parfaitement. Ils vont devoir encadrer ces nouveaux investissements qataris, s’ils se concrétisent finalement, pour espérer limiter les risques d’ingérences de régimes étrangers, décalés, dans les affaires intérieures de la France. Le même “business model”, si l’on peut qualifier cela ainsi, est suivi par les Britanniques dans le Golfe. Avec une meilleure synchronisation générale, toutefois.
A l’occasion de la tournée régionale du Premier ministre David Cameron, certains, à Londres, n’ont pas manqué de se demander s’il est opportun pour la Grande-Bretagne de vendre ses Typhoon à des régimes autocratiques, anti-démocratiques et susceptibles d’être emportés par la vague révolutionnaire. L’éditorial du Guardian, publié le 05/11 alors que Cameron achevait sa visite aux Emirats Arabes Unis et s’apprêtait à se rendre en Arabie saoudite, et intitulé “David Cameron’s Gulf Trip: Our Man in Manama“, reprend parfaitement ses interrogations, légitimes. En conclusion, The Guardian estime que le PM a choisi le pire timing, presque, pour placer le Typhoon aux EAU, en Arabie saoudite et à Oman, trois dictatures qui risquent de connaître le même sort que les autres régimes renversés par leurs populations. D’un point de vue mercantile, et opportuniste, le timing paraît, plutôt, optimal.
Le gouvernement britannique se doit de poursuivre et d’intensifier son action en vue de défendre ses intérêts économiques et stratégiques nationaux, à l’instar de la France qui sollicite les pétrodollars du Qatar sans trop se soucier de l’absence de valeurs démocratiques dans cet émirat, dans le contexte économique actuel. D’ailleurs, le Président François Hollande devançait le 05/11 le PM britannique à Djeddah, alors que son Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian vient de se rendre, avant Cameron aussi, à Abu Dhabi. Cameron, qui a stigmatisé devant ses hôtes arabes la menace iranienne en s’engageant à défendre les régimes alliés face à cette menace, a parlé avec les dirigeants émiratis et saoudiens des dossiers qui rassurent, ceux dont la convergence de vues entre les deux parties est avérée : Iran, Syrie, sécurité régionale, échanges économiques et culturels et développement, coopération militaro-stratégique. Les sujets qui fâchent, comme le dossier des Frères Musulmans et des opposants émiratis à Londres, les scandales liés aux programmes d’armement saoudo-britanniques, la liberté de la presse, les réformes institutionnelles, l’opacité des systèmes bancaires er financiers, la Palestine, le “printemps arabe”, etc., sont mis en veilleuse… Les deux parties se connaissent bien…
Londres a besoin d’influence sur la zone, et surtout de préserver sa part dans le recyclage des pétrodollars au profit des industries les plus stratégiques. Abu Dhabi, Mascate et Riyad ont besoin d’un certain silence britannique, pour poursuivre leurs processus politiques internes et continuer à jouir de cette marge de liberté nécessaire pour espérer retarder le tsunami du “printemps arabe” et en atténuer l’impact éventuellement, comme ils ont aussi besoin d’une alliance stratégique et militaire crédible pour espérer rester à l’abri d’une agression extérieure. Suivant cette lecture, le Typhoon semble à l’intersection de toutes ces ambitions. Mais le système d’armes anglo-européen n’est pas le seul, et la Grande-Bretagne n’est pas le seul partenaire crédible aux yeux des pétromonarchies arabes du Golfe. Derrière les Etats-Unis, qui semblent imposer leur tempo à tous, il y a aussi la France qui fait preuve, comme la Grande-Bretagne, de pragmatisme en traitant avec les partenaires arabes du Golfe, et qui, comme la Grande-Bretagne, a auprès des dirigeants arabes une image encore plus crédible aujourd’hui. Seul bémol peut-être pour la France, le timing. Peut-être aussi, et même certainement, les priorités industrielles.