Irak – Russie: Bagdad tempère son ouverture sur Moscou: réévaluation des programmes d’armement

Fadi Assaf.

Alors que des rumeurs de corruption circulent depuis l’annonce de la conclusion du package-deal irako-russe sur près de $4,2md d’armements, un scénario bien élaboré a permis aux médias (AFP, 10/11) d’annoncer le 10/11 « l’annulation » carrément du contrat signé à Moscou par Nouri al-Maliki et Dmitri Medvedev. La presse saoudienne à diffusion internationale, dont Asharq al-Awsat, a même anticipé l’annonce par les agences de presse internationales à la suite d’une déclaration, pour le moins ambiguë faite le 10/11 par le porte-parole du Premier ministre irakien, et prévu l’annulation du contrat irako-russe ou tout au moins sa « renégociation » par Nouri al-Maliki comme le souhaitaient ce jour-là des Parlementaires irakiens, et sans attendre une énième précision officielle irakienne, celle, le 10/11 aussi sur al-Jazeera, du ministre de la défense Saadoun al-Dulaïmi qui a démenti « l’annulation » du contrat.

Il y a eu les rumeurs, à Bagdad, les scandales lointains à Moscou qui ont entraîné l’éviction du Ministre de la Défense notamment, avant les révélations faites sur cette affaire par le Président de la Commission d’Ethique du Parlement irakien Baha’ al-Aaraji, lors d’une conférence de presse le 09/11, et qui a clairement invité le Premier ministre à arrêter le contrat russe et à engager de nouvelles négociations avec Moscou. Le député irakien, qui précise avoir adressé un courrier en ce sens au cabinet du PM, insiste sur les rumeurs de corruption liée aux achats d’armements russes par Bagdad, des rumeurs qui courent « en Irak et même en dehors de l’Irak », et souhaite que ces contrats soient renégociés par « un comité choisi selon des critères professionnels et de transparence ». Une autre commission parlementaire irakienne, directement concernée par cette affaire, la Commission de la Sécurité et de la Défense, occupée ces derniers jours par une autre affaire qui semble désormais lui échapper, celle des composants israéliens des F-16 commandés par l’Irak aux Etats-Unis, est aussitôt entrée en jeu pour relativiser ces rumeurs de corruption. Le député Hamed al-Moutlaq, membre de la Commission de la Sécurité et de la Défense, qui a démenti avoir connaissance d’une affaire de corruption dans le cadre des contrats russes, a indiqué que la commission demandera tous les documents du contrat en question au gouvernement, et si la corruption est établie, elle demandera son annulation. Tout cela était avant l’annonce par le porte-parole du PM, Ali Moussaoui, le 10/11, que le contrat est « annulé », que Maliki a décidé de « revoir » le contrat depuis qu’il a eu vent des rumeurs de corruption à son retour du voyage à Moscou, qu’« une enquête est en cours »… Aussitôt, les médias internationaux annonçaient, en grande pompe, « l’annulation » du méga-contrat irako-russe.

Il y a eu aussi des critiques, politiques, contre ce contrat russo-irakien : le chef chiite Moqtada el-Sadr qualifie ces achats d’armement russes de « gaspillage ». Il y a eu des critiques, techniques, par la voix d’experts qui estiment irrationnelle l’intégration de systèmes d’armement russes par les Forces armées irakiennes désormais aux standards occidentaux. Il y a eu aussi les craintes des Kurdes qui y voyaient un risque militaire supplémentaire contre eux. Bien évidemment, des pays voisins comme le Koweït, l’Arabie saoudite ou encore la Turquie, ne peuvent que s’inquiéter de ce réarmement massif de l’Irak, et surtout par la Russie qui permettrait ainsi à Bagdad de se soustraire encore plus encore à l’axe américano-sunnite. Car, il semble bien que les enjeux dépassent largement la « simple » affaire de corruption. En effet, en Irak, les affaires de corruption sont monnaie courante, avant, pendant et, bien évidemment, après Saddam Hussein. Elles concernent les contrats d’armement, et pas seulement, les fournisseurs principaux, et pas uniquement. La corruption s’est « démocratisée » sous la gouvernance américaine, et les enquêtes menées par les Américains eux-mêmes aboutissent à des conclusions effarantes. On n’a pratiquement pas vu de contrats américains majeurs annulés par les Irakiens, ou les Américains, pour cause de corruption, à quelques, petites, exceptions près. Des soupçons de corruption pèsent sur des contrats d’armement conclus avec des fournisseurs secondaires, dont des pays d’Europe de l’Est. Ces affaires sont parfois médiatisées, dénoncées par le Parlement qui s’est doté d’une Commission d’Ethique, mais elles sont le plus souvent classées (il n’est pas utile d’insister ici sur les scandales de corruption impliquant des fournisseurs occidentaux majeurs sur des marchés arabes voisins, comme l’Arabie saoudite avec British Aerospace et les programmes Yamama, des scandales étouffées « à l’anglaise » pour permettre le déblocage de nouveaux marchés saoudo-britanniques). Le méga-contrat russe, conclu sous une pression iranienne, et qui a, surtout, une dimension géopolitique évidente, est combattu, aussi bien par les opposants internes de Nouri al-Maliki, que par les monarchies arabes voisines et la Turquie, et surtout par les Etats-Unis. Les Américains, qui viennent de déloquer le programme F-16 en dépit des réserves émises par leurs alliés kurdes, ignorent les réserves émises aussi par les Parlementaires irakiens sur la contribution technologique israélienne supposée aux systèmes d’armes proposés, et entendent accélérer certains programmes d’armes majeurs au profit de Bagdad. Ils espèrent, alors que le gouvernement de Nouri al-Maliki continue de soupeser l’opportunité d’une alliance aussi lourde avec la Russie dans le contexte géopolitique actuel, dissuader le gouvernement irakien de conclure de tels contrats d’armement majeurs avec Moscou (lire : « Irak – Russie : Nouri al-Maliki et le CMI russe consolident l’axe syro-iranien »). Maliki, dont le conseiller pour les affaires énergétiques Hussein Shahrastani vient de lancer, le 09/11, une mise en garde contre le géant gazier et pétrolier russe Gazprom pour le contraindre à choisir entre Erbil et Bagdad, est sensible aux conseils de l’Iran, un peu trop au goût des Américains, des Saoudiens et de ses opposants internes. Il est tenté de s’allier à la Russie, dans le contexte actuel, sans se défaire de ses alliances occidentales et avec les Etats-Unis en particulier, comme le lui suggère Téhéran dans le but d’associer l’Irak à l’axe russo-syro-iranien. Une possible contre-attaque américaine, dont la révision des contrats avec les complexes militaro-industriel et énergétique russes serait une manifestation concrète, pourrait signifier un éloignement relatif de l’Irak de l’axe irano-russe et un affaiblissement donc de l’axe syro-irano-russe. Maliki ne se risquerait pas dans une remise en question globale de ses relations avec la Russie, encore moins avec l’Iran, mais il serait tenté d’élargir sa marge de manœuvre et de renoncer à s’engager très fortement dans l’axe russo-iranien. Le Premier ministre irakien serait-il en train d’anticiper un éventuel arrangement entre les deux axes, de sorte à ce qu’il s’imagine d’ores et déjà au croisement de cette rencontre irano-américaine?

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