Koweït : L’Opposition préfère la rue au Parlement: une révolution en marche arrière

Fadi Assaf.

Au Koweït, l’Opposition a boycotté les élections législatives du 02/12, les deuxièmes organisées dans l’émirat en dix mois, ouvrant la voie à un pouvoir législatif en totale harmonie avec le pouvoir exécutif, pour ne pas dire totalement soumis… L’Opposition conteste la légitimité du nouveau Parlement qu’elle estime non représentatif sur les plans populaire et politique, alors que le processus constitutionnel poursuit normalement son cours avec la démission du gouvernement (04/12) et l’ouverture de consultations en vue d’en constituer un nouveau dans un délai de deux semaines. L’émir Sabah el-Ahmad Al Sabah, qui vient d’effectuer une importante visite d’Etat en Grande-Bretagne dont il espère obtenir des retombées directes sur son propre positionnement politique, fait des gestes à l’égard de l’Opposition comme la décision, la veille des élections, de créer l’Autorité nationale chargée de la lutte contre la corruption et dont les prérogatives couvrent les responsables de premier plan, y compris ceux issus de la famille régnante. Cela ne semble pas suffisant pour calmer une Opposition, encore plus frustrée aujourd’hui, car absente du Parlement. Absente par sa propre volonté, après y avoir été bien présente, et surtout un peu trop bruyante pour être réellement efficace et constructive.

Le boycott des élections par les principales formations politiques, y compris celles de tendance islamiste ou libérale, aura permis le retour des femmes au Parlement. Trois femmes ont été élues, dont une femme issue du milieu tribal, ce qui est en soi une double avancée. Le boycott du scrutin par les Islamistes, sunnites, a ouvert la voie aussi à l’élection de 17 députés chiites (sept dans le précédent Parlement), une autre progression de la représentativitè des minorités confessionnelles. Le nouveau Parlement a vu l’entrée de représentants de plusieurs petites tribues, alors que le boycott a marginalisé les grandes tribues de l’émirat et donc les tribues les plus puissantes et influentes, celles des Mutaïr et des Awazem.

Le nouveau Parlement koweïtien, bien qu’il soit plus ouvert (retour des femmes, progression de la minorité chiite, représentation des petites tribues au détriment du monopole des grandes tribues), et quelque part plus démocratique (le boycott étant un droit politique, constitutionnel et démocratique), porte en lui-même les germes d’une instabilité politique inévitable. Sa légitimité est contestée, et l’Opposition ne manquera pas une occasion, “printemps arabe” aidant, pour le rappeler… Dans la rue. Et c’est là le paradoxe koweïtien, alors que l’Opposition dans les pays touchés par les vagues révolutionnaires joue le jeu démocratique, aussi biaisé soit-il, pour entrer, justement, au Parlement…

La famille régnante, qui connaît quelques dissensions internes autour de diverses questions politiques nationales y compris les relations avec l’Opposition, pense profiter de l’adhésion totale du Parlement pour consolider son autorité et faire avancer ses intérêts. Certains comptent sur la clairvoyance de l’émir Sabah et des sages de la famille pour apprécier la nécessité d’une plus grande ouverture, par le biais du pouvoir exécutif peut-être, sur les principales forces politiques et tribales exclues désormais du Parlement, et une redistribution plus équitable des richesses.

En tout cas, le pouvoir exécutif se souvient parfaitement encore aujourd’hui, et c’est la principale raison de la dissolution des précédents Parlements, de la capacité de nuisance des élus de l’Opposition et leur capacité à bloquer les projets économiques, sociaux, politiques du gouvernement. Il travaillera main dans la main avec ce Parlement qui lui est pratiquement acquis, dans l’espoir de contenir la rue et de priver l’Opposition de sa base. L’Opposition, dont les sympathisants avaient manifesté massivement pour protester contre la nouvelle loi électorale, ne l’entend pas de cette oreille. Elle a appelé à manifester pour le 07/12, laissant craindre une radicalisation du conflit. Au Koweït, le Parlement, qui est un progrès indiscutable en soi, n’a pas porté bonheur, souvent, à la famille régnante. Le test de la rue risque d’être encore plus pénible à surmonter. Le grand voisin saoudien observe tout cela de très près, et doit craindre pour le Koweït un scénario “à la bahreïnie”. La force commune du Conseil de Coopération du Golfe “Peninsula Shield” s’apprète à tenir ses prochaines manoeuvres militaires au Koweït…

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