Lors de son intervention télévisée du 30/05, le SG du Hezbollah Hassan Nasrallah, de retour d’une visite à Téhéran, confirmait l’engagement de ses djihadistes en Syrie. Les combattants du Hezbollah y sont déployés pour défendre les lieux saints de l’islam chiite et les populations locales chiites, syriennes ou libanaises. Les djihadistes chiites libanais sont présents surtout dans les régions frontalières du Liban, à Rif al-Qussaïr notamment, alors que des combattants de groupes radicaux chiites irakiens franchissent eux aussi la frontière syrienne pour se joindre aux combats. De même, la présence à Damas et dans d’autres régions de Syrie, d’experts iraniens, et d’unités des Pasdarans, semble avérée. La défense des populations chiites et des lieux saints chiites est, officiellement, la motivation première de ce djihad.
La défense du régime alaouite, un courant chiite de l’islam, allié stratégique de la république islamique d’Iran, paraît ainsi, sur le double plan idéologique et stratégique, totalement cohérente. Hassan Nasrallah affirme d’ailleurs, sans admettre assister les forces du Président Bachar el-Assad, que le régime syrien ne tombera pas. Il l’a souvent dit, et vient de le réaffirmer le 30/05, après ses rencontres, à Téhéran, avec le guide Khamenai, et à Beyrouth, avec le très influent vice-Ministre russe des Affaires étrangères Mikhail Bogdanov.
Le djihad, dimension religieuse devenue indispensable pour toute action politique, militaire et sociale, dans les pays musulmans et en état de radicalisation avancée, motive et légitime l’engagement du Hezbollah et des combattants chiites, syriens, iraniens et irakiens, pour défendre l’axe syro-iranien.
Ce même djihad, qui a ouvert la voie à la défaite des troupes soviétiques en Afghanistan, avec un soutien américain et occidental direct, motive aussi la partie adverse puisque, c’est au nom d’un islam sunnite obscurantiste que les djihadistes du monde entier affluent aujourd’hui vers la Syrie pour combattre le régime alaouite et ses alliés, après avoir renversé le régime de Mouammar Kadhafi en Libye.
La Russie couvre le djihad chiite, pour une série de raisons politiques et stratégiques, offrant de ce fait un inestimable parapluie international à l’axe syro-iranien autour duquel gravitent le Hezbollah et les relais chiites irakiens. Le djihad sunnite, ultime motivation spirituelle et religieuse pour les combattants de la Oumma, bénéficie pour sa part d’un parapluie plus large, avec une convergence d’intérêts entre les régimes arabes et islamiques les plus fermés et le monde occidental dont il sert, in fine, les objectifs politiques et stratégiques.
Les appels au djihad en Syrie se multiplient dans le monde musulman sunnite, et les djihadistes affluent vers ce pays et y entrent par ses frontières avec la Turquie, la Jordanie, l’Irak et le Liban. Le djihad invite vers la Syrie des jihadistes encadrés et des freelancers, y compris en provenance de pays européens et même d’Australie où les cheikhs salafistes parviennent à recruter au sein de la communauté libanaise émigrée du nord-Liban. Comme en Afghanistan, en Irak ou en Libye, les djihadistes envoyés en syrie peuvent être perçus comme “un mal nécessaire”, pour alimenter une guerre qui prend des couleurs confessionnelles, mais dont la teneur reste fondamentalement géopolitique et stratégique.
Le djihad sunnite est, à l’image de l’islam sunnite dominant, moins homogène et, comme la “Oumma”, plus global. Il y a les Syriens endoctrinés, sournoisement mais sûrement pendant des décennies, par les Frères Musulmans. Il y a les Palestiniens de Syrie, notamment ceux du camp du Yarmouk très perméables aux idéologies radicales et takfiristes. Il y a les brigades internationales qui recrutent dans des pays voisins : Liban, Irak, Turquie, Jordanie et dans les camps palestiniens libanais et jordaniens, et dans des pays du Golfe, en Arabie saoudite principalement et au Yémen. Mais il y a encore les filières européennes, asiatiques et maghrébines, qui fournissent des combattants très engagés idéologiquement, et souvent très expérimentés.
Ces combattants sunnites bénéficient, à l’évidence, d’une triple assistance logistique, militaire et financière, ainsi que d’un soutien médiatique considérable. Les enjeux géopolitiques et stratégiques permettent une convergence d’intérêts sur la scène syrienne entre puissances internationales et acteurs régionaux, au profit du djihad global.
Que feront ces dizaines de milliers de combattants, endoctrinés et aguerris, après la campagne de Syrie? Les djihadistes chiites, minoritaires et bien encadrés, suivront le destin de leur environnement social et politique immédiat, en Syrie, au Liban ou en Irak, avec une dimension géopolitique régionale probablement recentrée à la faveur des arrangements auxquels seront associés leurs sponsors iraniens. Les djihadistes sunnites, majoritaires, non encadrés malgré leur allégeance éventuelle à al-Qaëda et leur adhésion opportuniste à des groupes combattants comme Jabhat al-Nusra, et malgré aussi leur manipulation directe ou indirecte par divers services régionaux et internationaux, iront déstabiliser d’autres terres de djihad…
Est-ce d’ailleurs pour cela que rien n’est entrepris, pratiquement, pour mettre un terme à cette fitna confessionnelle qui engage, surtout, les plus radicaux dans les deux camps opposés? Ou est-ce tout bonnement de l’impuissance, alors que l’atteinte des objectifs stratégiques paraît difficile et que la canalisation de tous ces djihadistes qui prennent le dessus sur le terrain semble impossible. Dans tous les cas, cela semble être une solution très provisoire, à une problématique ancienne et récurrente, celle d’une confrontation sans cesse reportée entre deux mondes totalement incompatibles…