Monde Arabe: Classement des Think Tanks par l’ECSSR

The Emirates Center for Strategic Studies and Research (ECSSR) a réservé des espaces publicitaires dans plusieurs médias arabophones pour annoncer son classement des centres d’études stratégiques dans le monde arabe et au niveau mondial pour 2012/2013. L’ECSSR, qui a choisi de ne pas être candidat à son propre classement, présente son projet sur son site, en langues anglaise et arabe : “Towards Specific and Accurate Criteria to Evaluate Arab and International Strategic Studies Centers” ou “نحو معايير دقيقة ومحددة لتقييم مراكز الدراسات الاستراتيجية العربية والدولية”

L’ECSSR est un think tank dynamique, basé à Abu Dhabi, et qui bénéficie du soutien moral, politique et financier, des dirigeants abudhabiens, notamment du Prince héritier, vice-commandant des Forces armées fédérales cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan. Cela le prive d’une véritable liberté de pensée et d’expression, et limite, dans le contexte actuel, son réel impact sur les grands choix politiques, y compris les choix nationaux. Mais cela lui permet de se développer, localement, régionalement, et internationalement, et de solliciter des contributions de valeur auprès d’experts reconnus. L’ECSSR contribue, malgré les limites évidentes imposées à son action, à créer une certaine dynamique au niveau des centres d’études stratégiques du Monde arabe. Son classement, imparfait, s’inscrit dans ce cadre.

Dans le classement des dix premiers centres de recherches et d’études stratégiques dans le Monde arabe, figurent, à la 1ère et 2ème positions, deux think tanks américains, à travers leurs branches régionales: Carnegie Middle East Center (Liban) et Brookings Doha Center (Qatar). Pour les sept think tanks restant, cinq sont basés dans des monarchies, dans un environnement politique pour le moins contraignant: Bahreïn, Koweït, Jordanie, Dubaï, Arabie saoudite et Maroc. L’Egypte, 90 millions d’habitants, est représentée sur la liste, à la 6ème place, par le Centre al-Ahram pour les Etudes Politiques et Stratégiques, une plateforme de réflexion et de communication traditionnellement au service du pouvoir en place et qui a besoin encore aujourd’hui de prouver son efficience. Le Liban, pays de la liberté de pensée, y est représenté, à la 7ème place, par le Centre des Etudes de l’Union Arabe, un centre panarabe, de tendance nationaliste, qui a su s’épanouir à Beyrouth du temps où la notion même de think tank était interdite dans les pays du Golfe (sans compter le centre américain Carnegie basé à Beyrouth). Sur la liste de l’ECSSR des 20 think tanks internationaux les plus influents, aucun centre arabe ne figure naturellement, même si les maisons mères de Brookings et de Carnegie y sont bien représentées (1ère et 4ème place respectivement).

MESP s’était exprimé sur ce sujet dans une analyse intitulée “Les Think Tanks dans le Monde arabe: des boîtes sans idées et sans résonance,” publiée le 03/06/12, et reprise par le très influent Observatoire des Think Tanks (www.oftt.eu).

Dans sa communication aux médias, l’ECSSR souligne le rôle qu’occupent, théoriquement dans le cas du Monde arabe, les centres d’études stratégiques dans l’élaboration des stratégies, la proposition des politiques à suivre, le soutien aux prises de décision, et l’éducation de l’opinion publique. Le centre abudhabien exprime ainsi une grande ambition, très démesurée, ou idyllique, en parlant de think tanks dans le Monde arabe capables de proposer des politiques nationales et d’influencer l’opinion publique. Mais il a le mérite de provoquer un intérêt général pour la production d’idées par des acteurs extérieurs aux cercles politiques traditionnels, et d’intéresser un public plus large aux questions de stratégie et de politiques publiques. Dans des sociétés encore fermées et dans des systèmes politiques particulièrement cloisonnés, cela constitue une mini-révolution, malgré, encore une fois, les limites de l’action de l’ECSSR lui-même et les failles de son classement des think tanks. Elle mérite d’être encouragée, en espérant que, progressivement, les centres d’études stratégiques arabes gagneront en indépendance par rapport à leurs sponsors politiques originels, et qu’ils contribueront, in fine, à un débat d’idées démocratique, et à l’élaboration des politiques nationales.

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