Syrie: Un (hypothétique) plan B aussi risqué que le (supposé) plan A

La campagne menée par les monarchies arabes du Golfe contre le Hezbollah pour son engagement à Qoussair est sans précédent. Les médias sous influence saoudienne et qatarie et ceux soutenus par les capitales arabes du Golfe se déchaînent contre l’organisation chiite libanaise, avec la bénédiction des ulémas les plus influents du monde sunnite, d’al-Jazeera (Qatar) vers l’Azhar (Egypte des Frères Musulmans), en passant par les Lieux Saints et le Grand Mufti d’Arabie saoudite. Il s’agit d’un discours officiel, mais particulièrement virulent, émanant des principaux pays arabo-sunnites, contre le djihad mené par les Chiites venus du Liban, d’Irak, d’Iran ou du Yémen, pour soutenir le régime alaouite syrien qui opprime les populations sunnites. Mais, derrière ce discours, et malgré l’authenticité des sentiments anti-chiites et anti-Assad et anti-iraniens, se profile une action de propagande qui accompagne l’implémentation de ce qui semble être le plan B pour la Syrie. Un plan B, qui est parrainé par Washington, et qui est soutenu par Riyad et les capitales européennes, alors que ce camp comprend la difficulté à renverser militairement Bachar el-Assad et qu’il appréhende surtout de plus en plus l’après-Assad. Mais un plan B qui doit être cautionné aussi par Moscou et accepté même par Téhéran, alors que ce camp voit son allié syrien pratiquement condamné à une lutte indéfinie dont il ne pourra plus sortir vainqueur.

En effet, les acteurs internationaux et régionaux qui comptent dans la crise syrienne, ceux qui pensaient possible un renversement rapide d’Assad et une recomposition sereine du pouvoir, et ceux qui espéraient une victoire rapide du régime et une consolidation des acquis géopolitiques des dernières années au Levant, sont devant une impasse et il leur faut une issue de sortie : le plan B. Ce plan, négocié dans ses détails avec les partenaires occidentaux par le chef des services de renseignements saoudiens et SG du Conseil de la Sécurité Nationale le prince Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz, n’est pas sans risque. Au contraire, d’autant qu’un facteur, devenu essentiel et même incontournable, le djihad global en Syrie, risque de fausser le jeu. C’est d’ailleurs, dans l’espoir d’apaiser cette tendance au djihad en Syrie, qui s’étend dans le monde musulman et au-delà, que le discours officiel anti-Hezbollah se radicalise autant aujourd’hui. Car, selon le plan B en cours de promotion, la priorité n’est plus au seul renversement militaire du régime syrien, mais à une meilleure organisation de l’après-Assad en Syrie et au Levant. Cela passe par le maintien de la capacité d’action militaire du clan alaouite, voire par son renforcement grâce à l’intervention, sournoisement tolérée même si elle est officiellement dénoncée, du Hezbollah et des milices chiites à Rif al-Qoussair et dans le pays alaouito-chiite. Cela n’a pas échappé aux djihadistes battus à Qoussair, et qui sont soignés par dizaines au Liban avec la bienveillance du Hezbollah, qui ont très vite parlé de trahison lors de leur évacuation…

Si trahison il y a eu à Qoussaïr, c’est pour permettre de faire sauter ce verrou qu’est devenue cette ville aux abords du pays alaouito-chiite. Si trahison il y a eu à Qoussaïr, et le sentiment est général parmi les djihadistes, c’est pour laisser faire un rééquilibrage interne des forces combattantes au profit des groupes perçus comme étant les moins radicalisés. Si trahison il y a eu à Qoussaïr, c’est qu’il y en aura d’autres aussi lors des opérations militaires que les rebelles se doivent de perdre pour permettre l’implémentation du plan B.

L’armement fourni depuis plusieurs jours aux rebelles, et aux factions sélectionnées par les soins du prince saoudien Bandar Ben Sultan, et le soutien logistique qui leur est apporté, accompagnent les tractations toujours en cours au niveau international et régional afin de réunir un consensus le plus large possible à cette nouvelle initiative! L’Arabie saoudite est le moteur de l’initiative, qui a l’approbation de la Turquie, mais pas encore du Qatar et de l’Egypte, alors que Londres et Paris semblent appuyer franchement le plan saoudo-américain. L’Iran attend toujours de couvrir ce nouveau plan, mais les changements en cours à Téhéran laissent espérer une plus grande souplesse iranienne sur le dossier syrien. D’autant que la Russie y voit une issue de sortie aux moindres frais pour elle.

Dans ses grandes lignes, le plan B signifie d’éviter le renversement brutal du régime, et d’éviter l’installation d’un pouvoir populaire aux tendances islamistes et radicales qui finirait par affecter, encore plus que le régime baasiste peut-être, l’environnement géopolitique et sécuritaire de la Syrie (Israël, Liban, etc.). Il signifie aussi d’imposer une sorte de statuquo militaire, entre ce qui constituera le fief résiduel des Assad, le pays alaouito-chiite, et de geler la situation sur le terrain entre le camp Assad-Hezbollah et le camp opposé au sein duquel un reéquilibrage se ferait au profit donc de l’Opposition syrienne la moins imprégnée de militantisme religieux. Cela n’est pas sans rappeler l’enclave chrétienne au Liban, et la stabilisation forcée des lignes de démarcations pendant plusieurs années, grâce surtout aux garanties régionales et internationales… Les arrangements politiques pourraient se faire alors à froid.

Tout cela, sans compter la capacité de nuisance des tenants d’un djihad violent en Syrie, et sans compter avec la puissance de mobilisation et d’action sur le terrain des djihadistes sunnites attirés par dizaines de milliers sur la scène syrienne. D’où le risque de voir ces djihadistes se retourner contre ceux qui font les arrangements aujourd’hui à leur détriment (les autres factions anti-Assad, l’Arabie saoudite, la Turquie, les puissances occidentales, etc.). D’où le risque aussi de voir ces djihadistes désoeuvrés passer à l’acte ailleurs qu’en Syrie, là où cela leur est possible, comme au Liban qui les accueille aujourd’hui, ou dans les autres pays voisins de la Syrie par où ils transitent, ou encore dans leurs pays d’origine… Mais leur priorité, s’ils en ont les moyens et s’ils ont le souffle, restera la Syrie où ils ne cesseront de faire peser une menace permanente contre l’initiative saoudo-américaine ou contre toute autre initiative visant à éviter le renversement du régime. Ainsi, après avoir cru avoir l’embarras du choix en Syrie, passant du plan A visant à renverser rapidement Assad au plan B visant à l’encercler dans son pays alaouite en vue d’arrangements futurs, Saoudiens, Américains et Européens risquent d’être privés de choix, avec l’implantation tentaculaire d’al-Qaëda au Levant, et se retrouver dans l’embarras de devoir encourager une implication plus forte du Hezbollah et de l’Iran en Syrie…

Scroll to Top