L’attaque menée par un sous-marin israélien contre un site militaire syrien abritant des missiles russes Yakhont à Lattaquié a été révélée par les Américains. Cette opération, qui souligne l’inquiétude des Israéliens de voir les missiles Yakhont passer aux mains du Hezbollah pour donner un nouvel avantage militaire stratégique à l’organisation pro-iranienne, n’était pas approuvée par Washington. Les Israéliens ont tenté un forcing pour éliminer cette menace redoutée sur leurs intérêts navals en Méditerranée, et semblent avoir réussi d’un point de vue militaire. Au niveau diplomatique, ils ont pris un risque, un risque calculé certes, mais réel, de déstabiliser une dimension des arrangements sécuritaires russo-américains, celle qui garantit la stabilité du Golan. En effet, les Américains, qui obtiennent des Russes des garanties pour dissuader l’axe syro-irano-Hezbollah d’ouvrir le front du Golan face à Israël, offrent en contrepartie des garanties pour les intérêts maritimes russes en Méditerranée orientale. En attaquant, discrètement, les missiles sol-mer syriens de fabrication russe et qui seraient potentiellement destinés au Hezbollah, Israël aurait pu provoquer les Russes en menaçant leur présence maritime sur la côte syrienne. Les Russes, qui viennent de proposer à l’ONU de contribuer aux forces d’interposition dans le Golan en cas de besoin, pour signifier leur engagement à assurer la sécurité d’Israël alors que le conflit syrien s’embrase, n’ont pas répondu à l’attaque israélienne à Lattaquié, comme ils ont agi auprès de leurs alliés syriens, iraniens et libanais, pour éviter une réponse militaire contre Israël. Pour leur part, les Américains ont signifié aux Israéliens, en révélant l’attaque de Lattaquié, et par les voies diplomatiques et militaires normales, leur opposition à une telle initiative militaire unilatérale qui pourrait porter atteinte aux intérêts maritimes russes en Méditerranée et affecter, éventuellement, les arrangements sécuritaires russo-américains, y compris ceux garantissant la sécurité d’Israël.
Le Golan reste stable aujourd’hui, malgré une certaine tension due aux débordements sporadiques du conflit syrien vers la zone occupée par Israël, et malgré surtout les menaces proférées clairement par le régime de Bachar el-Assad et par son allié pro-iranien le SG du Hezbollah Hassan Nasrallah d’ouvrir ce nouveau front et d’y installer une action de résistance anti-israélienne sur le modèle de la résistance islamique qui a évincé Tsahal du sud-Liban. Les arrangements sécuritaires russo-américains assurent, en grande partie, cette stabilité, encore aujourd’hui. L’action, unilatérale, menée par la Marine israélienne contre Lattaquié n’a finalement pas affecté ces arrangements et cette stabilité qui en découle au Golan. Plus tard, la stabilité du Golan pourrait être affectée par un aventurisme iranien, au risque d’affecter les relations russo-iraniennes. Ainsi, l’élection du Président Rouhani à la tête de la république islamique d’Iran, à la faveur d’une exaspération populaire des politiques induites par l’idéologie radicale des Gardiens de la révolution, deviendrait un élément clé de la stabilisation durable du Golan. A moins d’une réaction violente des Pasdarans à leur marginalisation possible par l’équipe Rouhani, qui pourrait se traduire par des opérations sécuritaires et militaires extérieures menées par les Gardiens de la rėvolution et par leurs relais tels le Hezbollah, l’Iran de Rouhani pourrait opter pour le respect des engagements pris par Moscou envers Washington et empêcher l’ouverture du front du Golan. S’ils optent pour l’escalade, sur le plan interne et régional, les Pasdarans pourraient choisir d’agir sur divers théâtres d’opération sensibles, dont le Golan, jusqu’à mettre la pression sur les relations russo-iraniennes.
Les Pasdarans, dont les principales figures se font discrètes depuis l’élection de Rouhani, sont au coeur des changements en cours sur la scène politique interne à Téhéran. De leur repositionnemment politique dépendra leur rayonnement extérieur, et dépendra éventuellement l’aventurisme du Hezbollah libanais. La décision de l’UE de placer l’aile militaire du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes, semble en cohérence avec cette lecture des évolutions politiques internes en Iran qui voient une possible marginalisation des Pasdarans, sponsors directs de l’organisation chiite libanaise, dans le jeu politique interne. L’UE offrirait ainsi au Hezbollah libanais la possibilité de se “civiliser”, en sortant du giron des Pasdarans et en favorisant son aile politique au détriment de son aile militaire. Les Etats-Unis accompagnent de loin cette action, alors que l’Arabie saoudite et les autres monarchies arabes sunnites du Golfe accentuent la pression sur le Hezbollah, un des bras armé des Pasdarans dans le monde arabo-musulman, tout en cultivant l’espoir d’arriver à certains arrangements avec le nouveau Président iranien afin d’organiser une cohabitation optimale sur des scènes sensibles dont le Liban, Bahreïn, et ailleurs. Le Roi Abdullah Ben Abdulaziz invite le Président Rouhani au pèlerinage, alors que l’équipe saoudienne en charge des contacts diplomatiques avec Téhéran, dont le propre fils du souverain, le vice-ministre des Affaires étrangères le prince Abdulaziz Ben Abdullah, attend avec impatience les nominations au sein de la nouvelle équipe présidentielle iranienne pour y retrouver ses anciens et futurs interlocuteurs… Les deux pays où ces éventuels arrangements saoudo-iraniens s’exprimeraient en premier, seraient le Liban et Bahreïn. Les autres points chauds où s’affrontent Iraniens et Saoudiens, à travers leurs services de renseignements respectifs, comme le Yémen, la Syrie, l’Egypte, la Palestine, etc., attendraient des arrangements internationaux auxquels Téhéran et Saoudiens seraient associés.
Ce scénario est toujours inaccessible aujourd’hui, alors que la situation est toujours bloquée en Syrie, en attendant l’éventuelle conférence de Genève II, et en attendant la recomposition du pouvoir politique en Iran après l’élection de Rouhani et la reprise des contacts utiles entre Téhéran et la communauté internationale y compris Riyad. Entretemps, la phase actuelle reste porteuse de dangers extrêmes pour le Moyen-Orient, avec un double risque notamment, celui d’une nouvelle aventure des Pasdarans et de ses ailes militaires parmi lesquelles le Hezbollah, et celui d’une exacerbation et d’une extension de la fitna confessionelle entre Sunnites et Chiites à travers le monde arabo-musulman. A suivre.