Les tenants de la théorie conspirationniste verraient, dans la baisse du cours du pétrole et du gaz, une action déterminée, coordonnée par Washington, qui viserait à affaiblir des pays rivaux producteurs: la Russie, l’Iran, le Venezuela. Sans s’attarder sur les réels fondements, économiques et technologiques, de cette tendance baissière, il nous semble utile de tenter d’en saisir la portée d’un point de vue moyen-oriental. On s’intéresse, plus spécifiquement, aux implications possibles de cette nouvelle donne énergétique et économique sur l’Iran et sur l’évolution des rapports entre Téhéran et Washington.
L’Arabie saoudite et les autres pays arabes exportateurs seront affectés, forcément, par cette nouvelle orientation des marchés, même si le royaume saoudien, par exemple, possède une multitude de leviers qui lui permettraient d’en limiter l’impact sur sa stabilité interne et son rayonnement (jouer sur les volumes, exploiter les réserves financières, etc.). Mais il faut se rendre à l’évidence: les marchés et le facteur temps jouent en défaveur, surtout, de l’Iran. Car, en effet, l’Iran, exsangue après des décennies d’instabilité et d’embargo, joue ouvertement sa réhabilitation auprès de Washington et de la communauté internationale, en misant, en partie, sur son potentiel gazier et pétrolier. L’affaiblissement, durable, de cet argument, priverait les Iraniens d’une carte maîtresse dans leurs négociations stratégiques avec Washington sur le dossier nucléaire et donc sur la place de l’Iran dans le nouveau système géopolitique en gestation.
Allié de la Russie sur des dossiers régionaux comme la Syrie, l’Iran poursuit son ouverture, politique et économique aussi, en direction des Etats-Unis et de l’Europe. Cela inquiète, forcément, son principal rival musulman, l’Arabie saoudite, mais aussi la Turquie et Israël. Ces trois Etats, alliés majeurs de Washington au Moyen-Orient, appréhendent, en effet, tout rapprochement stratégique entre Américains et Iraniens. Ces trois Etats agissent, de manière concertée ou non, afin d’empêcher un tel rapprochement entre leurs alliés américains et leurs rivaux iraniens, ou tout au moins le retarder.
En position de force, avec son influence grandissante aussi bien en Afghanistan, que sur la Péninsule arabique (Yémen), en Irak, et dans le reste du Proche-Orient (Syrie, Liban, dossier palestinien), l’Iran, qui s’appuie aussi sur son potentiel énergétique (Asie), a pu élargir sa marge de manoeuvre vis à vis des négociateurs américains (nucléaire, rôle régional, embargo), tout en évitant un retournement brutal de la situation en sa défaveur (bombardement israélien des centrales nucléaires). Mais le facteur temps commence à jouer contre les intérêts iraniens, et pour les négociateurs des deux côtés, Iraniens et Américains, l’heure de vérité semble proche.
Les Iraniens pourraient chercher à anticiper une chute durable du cours du pétrole et du gaz, qui pénaliserait sérieusement l’économie iranienne et qui affecterait, directement ou indirectement, le rayonnement régional de l’Iran. Les Américains pourraient chercher à exploiter cette fenêtre de tirs que leur offrirait le retournement du marché énergétique, afin de forcer la main aux Iraniens et de limiter leur marge de manoeuvre.
Cette nouvelle donne du marché énergétique, qui doit encore se confirmer, pourrait finir donc par écourter les négociations irano-américaines et ouvrir la voie à une normalisation progressive des relations entre l’Iran et les Etats-Unis. Cela permettrait de débloquer une série de dossiers régionaux en souffrance, surtout si les intérêts des trois autres principales puissances régionales, l’Arabie saoudite, la Turquie et Israël, étaient préservés.