Arabie saoudite – Marchés d’armement: A quoi jouent les Britanniques?


Le 05/12, l’eurodéputé Alyn Smith (Scottish National Party) appelait à l’instauration d’un embargo européen sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, invitant la cheffe de la diplomatie de l’UE, Federica Mogherini, à évaluer la légalité de ces activités au profit du royaume saoudien. La position du député européen intervient alors que la guerre au Yémen continue de révéler l’importance des « dommages collatéraux » causés par les bombardements saoudiens et que la question des droits de l’homme ne cesse de ternir l’image du royaume à l’intérieur et à l’extérieur. Elle intervient alors que Londres menace de stopper ses fournitures d’armes aux Forces Armées saoudiennes, et coïncide, par ailleurs, avec l’émergence de tensions inédites entre Riyad et Berlin sur fond de soutien au radicalisme (révélations d’un rapport des services secrets allemands la BND, mettant en garde contre le rôle déstabilisateur que joue l’Arabie saoudite dans le Monde arabe, révélations appuyées le 05/12, par le vice-chancelier allemand et Ministre de l’Economie Sigmar Gabriel qui a pressé l’Arabie saoudite d’arrêter son soutien aux milieux religieux radicaux).

En menaçant d’arrêter les exportations d’armes britanniques vers l’Arabie saoudite « si les enquêtes montraient que Riyad a violé les lois humanitaires internationales dans la guerre du Yémen » (11/11), le Ministre britannique des Affaires étrangères, Philip Hammond, faisait jouer la carte éthique et morale, quelques jours seulement après avoir rencontré à Riyad le Roi Salman Ben Abdulaziz dans le cadre d’une tournée qui comprenait aussi les Emirats Arabes Unis et Bahreïn. En réalité, ces considérations morales, restées absentes si longtemps du dictionnaire des relations saoudo-britannique, nous poussent à nous interroger sur les véritables motivations des efforts entrepris par Londres afin de black-lister l’Arabie saoudite en Europe. Dans cette note, MESP pose une série de problématiques devant permettre de mieux comprendre cette nouvelle attitude britannique à l’égard du partenaire saoudien :

(i)                   Les industries de défense britanniques doutent-elles de leurs capacités à répondre réellement aux besoins des Saoudiens ? Doit-on voir un lien entre l’échec des industries de défense britanniques, ces derniers temps, à vendre leurs systèmes et équipements sur les marchés arabes (même si elles ont réussi dans certains domaines comme avec la vente, annoncée, au Koweït d’avions Typhoon, et cela non pas grâce au gouvernement britannique mais grâce au partenaire italien…) ? Quel lien entre l’expérience opérationnelle pour le moins décevante que possèdent désormais les armées arabes (y compris celles des Etats membres du CCG) des armes et systèmes qu’elles possèdent et les séries de tests qui ont permis de mettre en évidence certaines failles et certains problèmes des systèmes importés de Grande-Bretagne (parmi lesquels l’avion de combat européen, fierté des industries aéronautiques britanniques, allemandes, italiennes et espagnoles) ? La question qui s’impose ici est de savoir si le gouvernement britannique a décidé de hausser le ton et de menacer l’Arabie saoudite (et à travers elle peut-être aussi Abu Dhabi et d’autres pays) d’arrêter leur fourniture en systèmes de défense pour des raisons humanitaires véritablement, ou parce qu’il ne dispose pas vraiment des systèmes qui répondent réellement aux besoins militaires des Saoudiens et des autres partenaires ?

(ii)                 Les réseaux commerciaux britanniques en Arabie saoudite sont-ils désuets ? Les réseaux saoudiens et saoudo-britanniques qui ont longtemps fait le bonheur et le succès des industries britanniques de la défense sur le marché saoudien semblent dépassés. Il y a eu la saga du clan Sultan, un clan qui contrôlait pendant des décennies les dépenses du Ministère de la Défense, avant que les Britanniques ne fassent affaire avec le clan du Roi Abdullah Ben Abdulaziz (qui laissait aussi une marge de manœuvre aux fils et héritiers de Sultan). L’installation au pouvoir du clan Salman, avec le rôle central que joue désormais au niveau décisionnaire (et surtout aussi au niveau des achats d’armements) le fils du Roi (le prince héritier du prince héritier, deuxième vice-Premier ministre, Ministre de la Défense) Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz, aura fini de rendre caducs les réseaux autrefois surexploités par les Britanniques sur ce marché.

(iii)               Les Britanniques cherchent-ils à bloquer la progression de la concurrence sur ce marché ? Dans le contexte géopolitique actuel, les Etats-Unis, qui ne cessent de se distancer de l’Arabie saoudite, restent les principaux fournisseurs d’armes du royaume, notamment dans les secteurs aéronautiques et de la défense aérienne. Mais ils ne semblent plus, pour le moment en tout cas et en attendant les évolutions politiques américaines et les évolutions géopolitiques régionales et internationales, ravir la position de quasi-monopole qu’ils possédaient auparavant, et qui leur permettait d’ailleurs de redistribuer des parts du marché saoudien aux alliés britanniques notamment… Dans ce contexte, les Britanniques peuvent penser pouvoir empêcher la concrétisation de nouveaux programmes stratégiques saoudo-américains, à travers l’isolement « moral » et « institutionnel » de Riyad. Alors qu’ils ne semblent nullement en mesure de jouer sur la fibre « éthique » pour empêcher les Saoudiens, et Mohammad Ben Salman en particulier, de placer quelques commandes militaires auprès des Russes, les Britanniques peuvent également penser être en mesure d’embarrasser la concurrence européenne en dénonçant les exactions saoudiennes (au Yémen et sur le plan interne aussi) : ils doivent viser en particulier la France dont le rapprochement politique, inédit, avec l’Arabie saoudite, ne cesse de lui ouvrir les marchés les plus prometteurs, notamment ceux de l’armement.

Incapables de proposer aux Saoudiens des systèmes qui répondraient aux besoins opérationnels immédiats de leurs Forces armées et à leurs planifications stratégiques, et ayant perdu les réseaux commerciaux qui faisaient leur bonheur sous d’autres règnes, les Britanniques se rabattent sur la rhétorique des droits de l’homme, de l’éthique et de la morale, dans l’espoir de bloquer les intérêts d’une partie de la concurrence…

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