Liban: Duel (reporté) entre Naval Group et Fincantieri


Publié dans le numéro 32 de la LettreM.

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a unanimement décidé le 31 août 2018 de renouveler le mandat de la FINUL sans changements majeurs. La résolution le renouvelant revient sur l’éventualité d’un transfert de responsabilité de la FINUL Marine à la Marine libanaise, alors que le Président de la république le général Michel Aoun s’engage à ouvrir le chantier de la stratégie de défense. Le programme naval était à l’ordre du jour de l’entretien que le Président a eu le 5 Septembre 2018 avec le Ministre (sortant) de la Défense Yaacoub Sarraf, alors qu’Israël reprenait les travaux de construction de son mur à la frontière libanaise (contestée sur 13 points par le Liban) et que ressurgit à nouveau un risque de tensions autour du conflit maritime entre les deux pays.

Le conflit maritime entre le Liban et Israël, sur fond d’exploitation du gaz offshore, est un des éléments qui incitent Beyrouth à renforcer ses moyens navals. Plus largement, la protection des futures installations offshores et de la ZEE libanaise, la lutte contre les trafics, et la contribution du Liban à la guerre contre le terrorisme et à la stabilisation du bassin oriental de la Méditerranée, doivent conforter les Libanais et leurs partenaires internationaux dans leur choix en faveur d’un renforcement des moyens de la modeste Marine libanaise et d’un élargissement de ses missions. Enfin, l’espoir de priver le Hezbollah d’une présence en mer, dans le cadre de sa stratégie de dissuasion adoptée face à Israël, en confiant la sécurité et la défense des eaux territoriales libanaises à la seule Armée nationale, doit également motiver plus d’un parmi les défenseurs de ce projet.

A Rome II (15 mars), l’Italie, la France et la Russie, parmi d’autres pays participant à la conférence au profit des Forces armées et de sécurité libanaises (sous les auspices du Groupe International de Soutien au Liban et sous la présidence de l’ONU et de l’Italie), ont annoncé des projets d’aides au Liban. Ils ont « noté positivement la proposition du Liban de renforcer la capacité de la Marine libanaise ».

L’Italie, dont est issu le nouveau commandant de la FINUL (le major-général Stefano Del Col), et la France qui est, avec l’Italie et l’Espagne, un des principaux contributeurs de la FINUL, sont plus directement concernées par la stabilité du bassin oriental de la Méditerranée. Avec la Russie, elles ont désormais une raison supplémentaire pour agir en vue de maintenir la stabilité de la zone : la présence de leurs compagnies pétrolières, y compris au Liban, où Total, Eni et Novatek ont formé un consortium pour remporter les premières licences d’exploitation du gaz offshore libanais. Ces trois pays proposent donc de contribuer aux programmes d’équipement et de formation de l’Armée libanaise, avec un intérêt particulier, pour la France et l’Italie en tout cas, pour la Marine libanaise.

La Russie, qui propose une ligne de crédits de $1md pour équiper les Forces armées et de sécurité libanaises, intensifie son lobbying pour arracher, enfin, au gouvernement libanais, la signature d’un accord de coopération militaire et technique en souffrance depuis des mois. Les Russes exploitent une série de facteurs pour convaincre Beyrouth de l’intérêt de leur ouvrir le secteur de la sécurité et de la défense : le dossier des déplacés syriens, la reconstruction de la Syrie, le gaz offshore, les évolutions géopolitiques régionales, etc. Des rumeurs, alimentées par les promoteurs d’une plus grande présence russe au Liban, suggèrent aussi une possible contribution de la Russie à la stabilisation de la zone située au sud du Litani… Ceux qui se tiennent derrière de telles rumeurs pro-russes, ne cessent en même temps de dénoncer la trop grande proximité observée entre les Etats-Unis, via leur Ambassade et l’USCENTCOM, et la FINUL, via son commandement opérationnel. Le dossier de la coopération militaire et des relations avec la Russie de manière plus générale, sera à l’ordre du jour du prochain gouvernement, sans garantie de résultats.

Quant à la France et l’Italie, qui souhaitent se désengager de la Marine Task Force de la FINUL, elles ont cherché à mettre dans le coup leurs industriels, trop hâtivement peut-être, alors que le Liban se dirigeait vers une crise politique inéluctable. Paris et Rome, qui soutiennent leurs chantiers navals respectifs, Naval Group et Fincantieri, orientent surtout leurs aides vers le secteur maritime. Ainsi, pour la France, qui annonçait à Rome II l’ouverture « au bénéfice de l’Etat libanais d’une capacité d’achat de matériel militaire français, en apportant sa garantie à hauteur de €400m », les deux-tiers de cette contribution devraient être orientés au profit de la Marine libanaise (des programmes français au profit de la Marine libanaise étaient à l’étude, et même engagés pour certains, dans le cadre du malheureux programme DONAS). Quant aux Italiens, les responsables de Fincantieri n’ont attendu que quelques jours après Rome II pour venir soumettre des propositions concrètes à l’Armée libanaise, avec le soutien de l’Ambassade d’Italie à Beyrouth.

Le duel, auquel on assiste dans le Golfe, entre Naval Group et Fincantieri, s’étendrait-il vers le Liban ? Qui pourrait s’inviter dans la course au (petit) marché libanais ? CMN (ce qui rajouterait une dimension franco-française à la compétition), les Allemands (la visite de la Chancelière allemande Angela Merkel au Liban en juin dernier avait fait naître de sérieux espoirs chez ThyssenKrupp Marine Systems et leurs relais commerciaux locaux), les Australiens (le commandant de l’Armée le général Joseph Aoun s’est rendu en Australie en mai dernier) ?

La constitution d’un nouveau gouvernement relancerait les programmes d’aides décidés au profit du Liban: outre Rome II qui devrait bénéficier strictement à la sécurité et à la défense, Beyrouth mise sur CEDRE (conférence coordonnée par Paris pour aider à la relance de l’économie libanaise et dont les Libanais appréhendent déjà les conditions et leurs implications sociales, politiques et financières) et sur les aides promises à titre de soutien aux réfugiés (Bruxelles). Le calendrier, y compris politique, a quelque peu refroidi l’enthousiasme des Français et des Italiens au Liban, même si Paris et Rome maintiennent leur engagement au profit de l’Armée libanaise qui bénéficie surtout des programmes d’aides fournis par les Etats-Unis (dont les Super Tucano) qui ne désespèrent pas de bloquer définitivement la voie à toute avancée russe dans le secteur de la sécurité et de la défense.

Afin d’évaluer les chances de Naval Group et de Fincantieri sur le marché libanais, il convient de suivre une série de paramètres :

  • L’évolution des relations entre le Liban (et peut-être aussi entre certaines composantes politiques locales et leurs soutiens extérieurs : Iran, Syrie, Arabie saoudite, Egypte, etc.) et chacun de ses deux partenaires européens : la France et l’Italie.
  • L’évolution du niveau de coopération entre la France et l’Italie au Levant et au Liban et, d’une manière plus générale, sur les questions régionales (Libye, Syrie, etc.) : coordination stratégique et compétition commerciale ?
  • Les leviers dont profiteraient les concurrents français et italiens sur ce marché : leviers politiques, opérationnels, militaires, économiques, financiers, commerciaux.
  • Les risques et les opportunités qu’induirait l’ouverture du marché naval à d’autres concurrents (y compris français ou allemands).

Il convient également de garder à l’esprit d’autres paramètres cruciaux pour le choix des programmes d’armements majeurs et des programmes navals en particulier :

  • La recherche par le Liban d’un « muscle politique » auprès des partenaires militaires internationaux.
  • La recherche d’une certaine cohérence d’ensemble dans le package-deal qui doit englober les programmes navals proposés au Liban : renforcer la coopération avec les marines méditerranéennes amies (Grèce, Chypre), consolider les relations stratégiques entre le Liban et les pays fournisseurs (Méditerranée, terrorisme, FINUL, énergie, échanges économiques et culturels, etc.), etc.

La visite prochaine de la Ministre des Armées Florence Parly au Liban, et surtout celle du Président Emmanuel Macron reprogrammée pour février 2019 (qui pourrait se rendre en novembre à Chypre), pourraient peser en faveur de Naval Group. Cela suppose que le Liban dispose d’un nouveau gouvernement, et que ce gouvernement respecte ses engagements en matière de réformes économiques et financières et de stratégie de défense et de sécurité. Cela suppose aussi que les autres paramètres, surtout le paramètre financier, convergent dans l’intérêt de la France. Enfin, pour espérer confier à Naval Group ce programme au profit de la Marine libanaise, et éviter qu’il ne connaisse le même sort qu’un certain programme (DONAS) franco-saoudien, il convient surtout qu’un paramètre, complexe à évaluer, (v) le paramètre géopolitique, pèse en faveur de la France…

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