Publié dans le numéro 46 de la LettreM.
Le Président Emmanuel Macron s’est rendu à Djibouti le 11 Mars 2019, dans le cadre d’une tournée régionale de quatre jours qui comprenait aussi l’Ethiopie et le Kenya. L’investissement et la sécurité étaient au cœur de cette tournée présidentielle en Afrique de l’Est, où le facteur chinois motive et inquiète les Français.
Les investissements chinois, notamment en Ethiopie et à Djibouti, sont colossaux et les dettes contractées par ces deux pays africains inquiètent le FMI. Environ 2/3 de la dette djiboutienne est détenue par l’Etat chinois… La ligne de chemins de fer construite entre Addis-Abeba et Djibouti par la Chine illustre cet intérêt que portent les Chinois pour l’Afrique de l’Est. La région revêt une importance stratégique, car située à l’entrée de la Mer Rouge et au niveau du détroit de Bab el Mandeb. Celui-ci est un point de passage important des routes commerciales maritimes et plus de 35% du pétrole mondial transite par ce détroit. Dans le cadre de la nouvelle route de la Soie, le détroit prend une importance accrue pour le gouvernement chinois. Cela explique en partie l’ouverture en 2017 d’une première base chinoise à Djibouti, pouvant accueillir jusqu’à 10 000 hommes et chargée de la protection des ressortissants chinois dans cette région d’Afrique.
A Djibouti, où environ 1400 soldats (contre 1950 en 2015) sont déployés sur la plus importante base française en dehors du territoire national, la visite d’Emmanuel Macron, la première en neuf ans d’un Président français, reflète une posture de reconquête du terrain. La France, pour qui la sécurité de Bab el-Mandeb revêt un intérêt crucial pour ce que ce détroit stratégique signifie pour son économie et ses échanges avec l’Asie, se fait doubler par une concurrence internationale déterminée et agressive. Il y a deux autres pays membres de l’Otan : les Etats-Unis, avec l’AFRICOM qui occupe la Camp Lemonnier depuis 2002, et l’Italie qui y dispose d’une base depuis 2013. Les pays asiatiques se sont intéressés à leur tour à Djibouti : le Japon qui a choisi ce point stratégique pour y installer son unique base militaire à l’étranger dès 2011, et la Chine qui a investi près de $600m pour y installer sa première base navale à l’étranger en 2017.
A Djibouti, la France opère un retour, alors que l’endettement de ce pays envers la Chine commence à peser lourdement : un endettement excessif qui risque de « réduire la souveraineté » des Etats et de « fragiliser leur situation économique » selon les propres termes du Président Macron. Mais, par rapport à l’engagement militaire de la France dans ce pays et sur la zone, ses investissements économiques sont bien moins comparables à ceux de la Chine. Un rééquilibrage s’impose, alors que Djibouti se tourne aussi vers d’autres bailleurs de fonds, dont l’Arabie saoudite, le Qatar ou encore la Turquie, et que ses dirigeants continuent de monnayer les implantations militaires pour mettre en concurrence les partenaires étrangers et en tirer le meilleur bénéfice. Comme l’endettement qui explose, et que les Djiboutiens sont en théorie libres de ne pas subir, les bases militaires qu’ils offrent aux pays étrangers et qu’ils sont également libres de les leur refuser par la suite, finissent par altérer leur souveraineté… Djibouti est happé par cette spirale de l’endettement et du commerce des bases militaires. La France serait-elle en mesure d’en alléger l’impact en termes économiques, financiers, sécuritaires et politiques ?
Sur la zone, « la guerre des ports » fait rage : l’accord signé le 24 Mars à Mascate entre les Ministères de la défense américain et omanais et qui permet aux Forces américaines de développer le port de Doqm en est le dernier épisode en date. Pour les Américains, et avant eux les Britanniques, investir dans ce port omanais a un double avantage : celui de court-circuiter les voies maritimes menacées dont le détroit d’Ormuz, et celui de contenir l’expansionnisme maritime chinois sur la zone. La France, dont les Forces armées disposent de facilités aux Emirats Arabes Unis (base navale « Camp de la Paix »), est engagée elle aussi dans cette compétition internationale. Pour elle, Djibouti reste une plateforme incontournable, dans une région définie dans le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale comme « une des priorités stratégiques de la France ». Elle se le rappelle aujourd’hui et le rappelle aussi à ses partenaires et rivaux. Cet enjeu militaire et stratégique était naturellement au cœur de la visite du Président Macron dans ce pays où la France refuse une marginalisation de facto de sa présence militaire et de sa capacité d’action et de rayonnement régional, sous la pression chinoise ou autre.
L’Ethiopie, deuxième pays de l’Afrique subsaharienne avec 105 millions d’habitants, connaît une croissance de 8% par an. La France est l’un des cinq premiers investisseurs dans ce pays dont l’attractivité se renforce du fait de son ouverture politique entamée par le nouveau Premier ministre Abeiy Ahmed et qui a su mettre fin à l’état de guerre avec l’Erythrée et opéré un rapprochement avec ce pays voisin. Ces évolutions politiques et le bouleversement géopolitique résultant de la stabilisation des relations avec l’Erythrée poussent la France à revoir à la hausse ses ambitions en Ethiopie dont elle souhaite devenir un partenaire privilégié, aussi bien au niveau économique, qu’au niveau stratégique et militaire.
Le Président Macron a assisté, le 12 Mars, à la signature d’un accord de coopération dans le domaine de la défense. Pour Macron, « cet accord inédit (…) offre le cadre d’une coopération renforcée et ouvre notamment la voie à un accompagnement spécifique de la France sur la mise en place d’une composante navale éthiopienne ». « Plus largement, il offre un cadre à notre coopération en matière aérienne, au partenariat entre nos troupes et une perspective en termes de formation et d’équipement » toujours selon le Président français.
Associer l’Ethiopie aux actions menées par la France sur la zone requiert donc aussi un accès à la mer qu’Addis-Abeba pourrait obtenir via le port d’Assab en Erythrée, ou éventuellement le port de Berbera (Somaliland), ou Djibouti. Pour la France, il s’agit d’aider l’Ethiopie à consolider sa stabilité interne et la paix fraîchement établie avec l’Erythrée, et de profiter du potentiel économique que ces évolutions positives induiraient. « La France revient, et elle est à vos côtés » affirmait Macron au PM éthiopien à Addis-Abeba.
Au Kenya, où il a assisté à la signature d’une série de contrats pour près de $3md (impliquant Vinci, Airbus, Voltalia, Total) Emmanuel Macron a affirmé à son homologue Uhuru Kenyatta que la France, qui assume ainsi son forcing en Afrique anglophone, veut « faire partie de son nouvel agenda de croissance ». Il y a du chemin à faire encore pour les milieux d’affaires français dans ce pays, le plus avancé économiquement en Afrique de l’Est, et où leur part de marché est inférieure à…1,5%. Le premier Président français à effectuer une visite officielle à Nairobi a également discuté avec les dirigeants kenyans de la lutte contre le terrorisme et d’environnement, alors que l’obsession chinoise est là aussi bien présente chez lui…