Depuis plusieurs mois, Londres intensifie son lobbying en direction des pays arabes du Golfe, parvenant à caser son Typhoon à Oman, à convaincre les Fonds souverains qataris de recycler leurs milliards dans l’économie britannique, à vendre son concept d’académie militaire aux Emirats Arabes Unis, et à accélérer et finaliser une série de projets économiques et d’investissements avec ces pays et les autres Etats membres du Conseil de Coopération du Golfe. Le lobby industriel britannique stimule particulièrement aujourd’hui, dans un contexte économique et social incertain, l’action gouvernementale en faveur d’un élargissement des parts de marchés britanniques dans le Golfe. Parmi les secteurs les plus dynamiques, ceux de l’énergie, des finances, des services, de la défense. Ils mobilisent le Premier ministre David Cameron, comme BAE Systems qui obtient de lui qu’il défende fermement l’Eurofighter auprès des dirigeants arabes du Golfe. Les industriels de la défense mobilisent aussi le Ministry of Defence et ses relais techniques et opérationnels, pour assurer la meilleure promotion de leurs systèmes, directement auprès des dirigeants du Golfe.
Sur certains marchés, comme celui du Qatar et des EAU, les industriels britanniques de la défense sont, fréquemment, en compétition directe avec les Français. Aux EAU, mais aussi sur d’autres marchés arabes, BAE Systems est en compétition avec Dassault Aviation pour placer son Eurofighter face au Rafale français. Les Français ont relancé et accéléré leur projet émirati, profitant d’une série de paramètres favorables : convergence des vues politiques entre Paris et Abu Dhabi sur plusieurs dossiers régionaux, engagement constamment réaffirmé de la France en faveur de la sécurité et de la souveraineté des EAU, amélioration des propositions techniques, réévaluation des offres commerciales, changements à Paris à un double niveau politique et industriel, etc. L’engagement des autorités françaises, politiques et militaires, et le dynamisme renouvelé des négociateurs français, sont porteurs de sérieux espoirs pour les industriels de la défense sur les marchés du Golfe, d’une manière générale, et pour le groupement industriel fabricant le Rafale sur le marché des EAU, en particulier.
Tout cela ne pouvait échapper à la concurrence britannique qui poursuit et intensifie aujourd’hui son lobbying pour tenter de déstabiliser le très symbolique programme Rafale franco-émirati.
Même la reine Elisabeth II est mise à contribution, personnellement, pour mieux réussir l’opération de séduction en direction de la classe dirigeante émiratie, et pour appuyer les approches officielles et commerciales au profit des industriels britanniques. La reine, dont les fils le prince héritier Charles et le duc d’York Andrew sont eux aussi sollicités pour appuyer les projets britanniques dans le Golfe, s’était déjà rendue en 2005 à Abu Dhabi. Aujourd’hui, elle adresse une invitation au Président des EAU, l’Emir d’Abu Dhabi et commandant suprême des Forces armées, cheikh Khalifa Ben Zayed Al Nahyan, pour effectuer une visite d’Etat de quatre jours en Grande- Bretagne du 30/04 au 02/05.
Khalifa, qui sera accompagné d’une importante délégation officielle, dont le Ministre des Affaires étrangères cheikh Abdullah Ben Zayed Al Nahyan, son demi-frère et le frère de celui qui est devenu l’homme fort d’Abu Dhabi le Prince héritier cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan, sera accueilli à Buckingham Palace. Peu habitué aux voyages officiels, à leurs obligations et contraintes, et surtout peu habitué aux discussions autres que superficielles ou de courtoisie, Khalifa n’est pas insensible aux honneurs qui sont traditionnellement accordés aux hôtes de marque de la couronne britannique. Cette visite, acceptée par Khalifa malgré sa maladie et sa nature peu encline aux voyages, sera mise au profit des relations économiques bilatérales, sans aucun doute. Le lobby pro-britannique à Abu Dhabi, pour ne pas parler d’un courant anti-français, l’exploitera sans réserves.
Le partage des rôles et des prérogatives entre Khalifa, qui tient les finances et dont l’approbation est nécessaire lors de grandes décisions impliquant des budgets conséquents, et son demi-frère Mohammad, qui exerce, de facto, un monopole sur le secteur de la défense et de l’armement, impose toujours une prise de décision commune pour la confirmation éventuelle d’un programme de l’envergure de l’Eurofighter. Mohammad Ben Zayed, qui peut attendre encore plusieurs mois avant d’arrêter son choix du prochain avion de combat, ne devrait pas se priver du prestige d’annoncer lui-même ce choix, comme il avait tenu à le faire personnellement lors de l’annonce du contrat F-16 à Washington il y a quelques courtes années…
La visite de Khalifa à Londres est un joli coup de marketing pour les industriels britanniques, et pour les industriels de la défense. Elle peut renforcer le courant favorable à Abu Dhabi à une plus grande ouverture sur Londres, y compris dans la défense et l’armement. Mais cette visite ne sera pas vraiment déterminante pour le choix du futur avion de combat. Un choix qui revient, surtout, à Mohammad Ben Zayed.
Tout cela n’est valable qu’à une double condition: que les relations franco-émiraties soient encore, le moment venu, aussi stratégiques et solides, et que Mohammad ne fasse pas cavalier seul avec un agenda privé savamment camouflé…
Pingback: MENA - France: Le Drian poursuit son forcing: Rafale mais pas seulement