Paris pense occuper une place aux premiers rangs dans une éventuelle intervention extérieure contre le régime de Bachar el-Assad, aux côtés des Britanniques, des Saoudiens, des Turcs et des Israéliens, derrière les Américains, et face aux Russes et aux Iraniens. Sa diplomatie est mobilisée, tout comme ses médias et autres relais d’influence. Son appareil militaire, déjà engagé discrètement sur le terrain, à partir de pays voisins ou depuis la Mer Méditerranée ou l’espace, monte en puissance et se prépare à une intervention directe dont on ignore encore aujourd’hui la forme et l’envergure.
Une chose est sure cependant, c’est que la France, qui parvient à maintenir une influence certaine au Levant en dépit d’une forte compétition amicale ou hostile, ne peut renoncer à prendre part, et de manière visible, à l’intervention occidentale qui devrait imposer, in fine, une refonte du système politique en Syrie.
En restant en marge, pratiquement, de l’action militaire contre Saddam Hussein, la France s’est retrouvée reléguée à un rang dévalorisant, comparé à celui qui était le sien auparavant, lors de la reconstruction, politique et économique, de l’Irak. En se portant volontaire, avant les autres pays alliés même, pour engager l’action qui a déterminé le sort du colonel Mouammar Kadhafi et de son régime, sous l’impulsion de ce qui était alors l’axe Paris-Doha notamment, la France pensait récolter rapidement les fruits de son intervention, en termes d’influence et en termes économiques. Les évolutions libyennes en ont décidé autrement, et, en attendant une hypothétique stabilisation de la Libye, les Français doivent se dire que le seul gain de cette aventure libyenne, autre que le gain médiatique, aura été l’engagement pris par le Qatar, les Emirats Arabes Unis et l’Arabie saoudite de recycler des pétrodollars dans l’économie française.
En méditant ces deux cas, le cas irakien et le cas libyen, les Français doivent chercher, dès à présent, à réaliser des profits nets en s’engageant et en s’impliquant aussi fortement en Syrie. L’aventure syrienne risque d’être risquée pour les Français à plus d’un niveau, puisque le risque d’enlisement est bien réel, comme le risque de représailles, ou encore le risque pour la France d’être marginalisée par les pays alliés eux-mêmes… Aussi, Paris se doit, dès avant le renversement éventuel de Bachar el-Assad, de se positionner pour contribuer, en fonction de son engagement et des risques encourus, à la recomposition du pouvoir en Syrie et bien évidemment à la reconstruction du pays.
Au préalable, le Complexe Militaro-Industriel français, que doit représenter aujourd’hui le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, et ce malgré ses relations fragiles avec les militaires et les industriels de la défense, se doit de garantir une part du marché syrien. On a le droit de penser à la reconstruction de l’Armée syrienne, qui sera financée probablement par les pétromonarchies arabes du Golfe en fonction de leurs intérêts respectifs, et qui profitera, malgré l’historique russe et iranien de l’armement syrien, aux industriels de pays alliés, en partie. Mais on doit penser également au financement des opérations militaires attendues, et de l’engagement militaire français déjà en cours depuis des mois, alors que le gouvernement français vise à compresser les budgets des Armées françaises et de la défense…
Le Ministre de la Défense, qui effectue une nouvelle visite au Qatar et aux EAU (26-27/08) avant une visite en Arabie saoudite, semble miser sur cette convergence d’intérêts, sur la Syrie, entre Paris et ces trois pays arabes du Golfe, pour espérer débloquer certains programmes d’armement en souffrance et en accélérer la finalisation au profit des industries françaises. Il nous serait alors permis de parler d’un financement indirecte de l’engagement diplomatique et militaire français contre Bachar el-Assad, par les Al Saoud, Al Thani et Al Nahyan. Une sorte d’acompte au profit du gouvernement français et du Complexe Militaro-industriel, avant l’ouverture de l’immense chantier de la reconstruction de la Syrie.