Moyen-Orient: Intelligence Economique à la française: Observations

Après avoir surmonté de réels blocages culturels, les sociétés françaises ont fini par intégrer “l’Intelligence économique” dans leurs pratiques commerciales. Cela est arrivé tardivement par rapport à certains de leurs concurrents sur les marchés internationaux, et cette pratique est restée arbitraire, incertaine, partielle [Par IE, nous entendons “l’intelligence opérationnelle et stratégique” (IOS) qui permet, directement ou indirectement, aux sociétés d’élargir leurs parts de marchés, et à laquelle nous donnons cette définition large et précise : l’exploitation à des fins commerciales, d’informations, tactiques et stratégiques, collectées activement, analysées objectivement, sécurisées et mises à la disposition des dirigeants, au bon moment.]

Sans aller jusqu’à une synergie parfaite avec les organismes étatiques, comme c’est le cas par exemple de la concurrence américaine, les Français ont imaginé des passerelles entre secteurs privé et public dans le domaine de l’IOS, multipliant les plateformes intellectuelles ou administratives au sein ou en marge des institutions existantes. Pour autant, et à l’exception peut-être, de l’ADIT (www.adit.fr) qui s’est reconvertie au bon moment dans ce qui est, sympathiquement, appelé aujourd’hui la diplomatie des affaires ou le Business Intelligence, les vraies connexions entre secteurs privé et public dans ce domaine opérationnel demeurent rares. Si l’ADIT choisit des pratiques privées pour accroître son chiffre d’affaires, les cabinets privés de conseils spécialisés dans l’IE/IOS tendent, pour cela, à se rapprocher du secteur public et des réseaux politiques. Les autres concurrents sérieux, des cabinets de conseils américains et britanniques notamment, qui ont pignon sur rue à Paris, comme l’américain Kroll, offrent une toile internationale bien plus étoffée, mais manquent d’un valorisant label national français…

Sur un marché que Middle East Strategic Perspectives pratique depuis longtemps, celui du Moyen-Orient, le positionnement des sociétés françaises, y compris celles du CAC40 qui recyclent des budgets plus ou moins importants dans le conseil à l’export, ne bénéficie que depuis peu de temps des services de tels cabinets spécialisés, français naturellement. Depuis une dizaine d’années, au mieux, alors que les promoteurs d’une IE à la française menaient un forcing tous azimuts afin de démocratiser cette pratique auprès des sociétés exportatrices et avec les encouragements des autorités. Avant, les grands contrats étaient décrochés, obtenus ou même arrachés, grâce à la combinaison de deux paramètres essentiellement : un paramètre stratégique, hautement sinon vertigineusement stratégique, touchant à la grande politique, et un paramètre tactique, bassement sinon lamentablement tactique, touchant à la politique de couloirs. Sur les marchés arabes donc, et pour les industriels français qui proposent des produits suffisamment compétitifs avancés technologiquement, il suffisait, pour remporter de gros contrats dans les années 70-90, que la France soit désirée politiquement et que l’ultime décideur soit personnellement bien travaillé par l’intermédiaire francophile de service…

Plus tard, ces marchés devenaient plus compliqués : les besoins des clients sont désormais bien plus élaborés, la concurrence plus intense, les montages financiers et économiques plus complexes, le poids relatif de la France dans la géopolitique régionale plus difficile à apprécier, etc. L’information, tactique et stratégique, prenait alors toute sa dimension opérationnelle, et se complexifiait elle aussi, pour intégrer une série de paramètres divers et variés. Surtout, des paramètres en constante et rapide mutation, alors que les deux paramètres essentiels qui s’imposaient naturellement dans les décennies 70-80-90, entendre « la grande géopolitique » et « la petite politique de palais », pouvaient rester figés suffisamment longtemps pour qu’on les considère alors des hypothèses de départ : le Qatar équipe son Armée en France car la France offre une alternative à l’axe saoudo-américain et car aussi l’Emir Khalifa Ben Hamad Al Thani a la fibre francophile bien entretenue par son entourage libanais…

Ce dernier exemple, le Qatar et la France, nous permet de saisir la profondeur des évolutions ayant, depuis, touché les marchés arabes les plus porteurs, et la complexité des paramètres qataris et français, pour se limiter à cet exemple, dont la combinaison, jamais constante et en évolution permanente, décidera des contrats franco-qataris à un moment donné. Les intermédiaires, courtisans et ancrés dans le paysage mondain pour ne pas se limiter au seul contexte commercial, deviennent des consultants, assis sur des strapontins.

Les sociétés ne pouvaient plus se contenter, à partir de la fin des années 80 et du début des années 90, du simple intermédiaire choisi pour des compétences peu techniques et surtout pour un carnet d’adresses qu’on voit bien qu’il ne comprend, en réalité, qu’une seule adresse. Pour revenir au cas du Qatar sous KBH, un homme d’affaires libanais, francophone, et qui fut derrière de fabuleuses affaires franco-qataries, avait pour principale pour ne pas dire unique compétence pratique sa proximité du palais, à Doha seulement, et comme seule adresse dans son carnet d’adresses : celle qui le conduisait à… l’oreille de l’Emir. Suffisant pour l’époque, mais plus maintenant.

Après un passage à vide, qui devait accompagner des bouleversements géopolitiques majeurs sur le double plan régional (guerre du Golfe, etc.) et international, au cours duquel les Etats-Unis faussaient le jeu commercial par excès de puissance apparente et assumée, et imposaient, aux clients arabes et notamment ceux à forts potentiels financiers dans le Golfe ou à l’Irak post-Saddam, leurs industriels et ceux de leurs alliés britanniques surtout, la pratique de l’IE/IOS est revenue en force. Ce n’est pas qu’une telle pratique n’était pas utile dans le contexte hégémonique anglo-saxon dans le Golfe, mais il est un fait, c’est que la place qui restait à une telle pratique dans le jeu de la concurrence, devenue ouvertement déloyale, était alors trop réduite.

Les rééquilibrages qui ont suivi cette période, et qui se poursuivent actuellement, imposent aux sociétés françaises stratégiques engagées sur les marchés du Moyen-Orient de gérer un tableau de bord particulièrement complexe par la diversification, sans limites, de ses paramètres, et la variation, sans discontinuité, de ses équations. Le recours aux spécialistes s’impose à nouveau, à grande échelle, avec des profils recherchés de plus en plus savants, techniques et opérationnels. Ces experts, un mélange de spécialistes du Moyen-Orient et d’opérationnels, pouvant prétendre à une capacité d’analyse stratégique des marchés tout en étant capable d’en offrir une approche pratique, sont les piliers de ce qui doit être l’Intelligence Économique, Opérationnelle et Stratégique à la Française. Ils doivent comprendre les intérêts nationaux français, et y adhérer, tout en connaissant, par la pratique, les mécanismes décisionnaires des pays clients, en évolution constante, leur environnement géopolitique, leurs politiques internes, leurs sociétés, leurs économies, etc.

Il n’y a pas de place ici aux généralistes et autres universitaires versés dans les grandes théories et coupés des réalités du terrain, encore moins aux seuls intermédiaires d’autrefois noyés dans une trop grande subjectivité et privés de discernement, ou encore aux consultants parisiens tombés dans la starisation du système jusqu’à oublier de se ressourcer ailleurs qu’auprès de leurs propres clients… Cela n’est pas une théorie de l’IEOS, mais le fruit d’une observation quotidienne des pratiques commerciales des directeurs régionaux d’entreprises du CAC40…

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