Arabie saoudite – France: Divergences politiques et business: une première victime: EDF?

Alors que le Secrétaire d’Etat américain John Kerry se rendait, en urgence, à Riyad, où il a été reçu par le Roi Abdullah Ben Abdulaziz lui-même, Saoudiens et Américains se rappelaient la profondeur “stratégique” de leurs relations et leur “durabilité”. Les divergences saoudo-américaines sur plusieurs dossiers régionaux sont une réalité, et personne ne les nie, mais ces divergences sont gérables, et les deux parties le reconnaissent. L’Egypte, la Syrie, et l’Iran, sont les principaux titres de ces désaccords saoudo-américains. Sur ces trois dossiers, Washington peut s’engager à ne pas conclure d’arrangements, avec les Russes et les Iraniens, au détriment des Saoudiens. Les Saoudiens pensent pouvoir obtenir de leurs alliés stratégiques, les Etats-Unis, de préserver leurs intérêts vitaux, dans la différence. Une gestion optimale des divergences saoudo-américaines, qui préserveraient les intérêts vitaux des deux pays dans la région, s’impose, en attendant une meilleure visibilité.

Des divergences, tactiques semble-t-il, mais sérieuses, existent donc entre les deux alliés stratégiques, Riyad et Washington. Cela affecte, forcément, la confiance entre les alliés. Cela les pousse à regarder ailleurs, au-delà de leur alliance, même si celle-ci n’est pas remise en question dans le contexte actuel. C’est ainsi que les Saoudiens frappent à de nouvelles portes, en tentant d’intéresser les Russes et les Chinois à leurs potentiels, comme ils tentent un forcing en direction de partenaires perçus comme de “second rang” par rapport aux Etats-Unis, dans une perspective de long terme. C’est ainsi aussi que les Saoudiens font miroiter de nouvelles opportunités aux Français, qui ont su profiter de leur rapprochement inédit avec Riyad sur un dossier aussi délicat que celui de la Syrie pour relancer leurs business dans le royaume [voir notre analyse: Arabie saoudite – France: Les Français sauront-ils tirer parti, économiquement, des tensions saoudo-américaines?]. Mais, si convergence de vues parfaite sur la Syrie signifie business pour les sociétés françaises en Arabie saoudite, des divergences sur d’autres dossiers régionaux importants, comme l’Iran et le Liban, ne risquent-elles pas d’inverser le trend?

Alors que Washington les retrouve au milieu de la route pour réclamer le départ de Bachar el-Assad dans le cadre d’un processus politique cautionné par la communauté internationale et les puissances régionales, les dirigeants saoudiens, qui continuent d’exprimer à voix haute leur déception pour n’avoir pu renverser militairement le régime alaouite allié de Téhéran, tiennent à leur proximité avec Paris sur ce dossier crucial et n’entendent pas lâcher les Français dans le contexte actuel. Pour autant, tout n’est pas rose dans les relations franco-saoudiennes, et des divergences apparues sur deux dossiers essentiels pour Riyad, les dossiers iranien et libanais, risquent d’affecter les intérêts français en Arabie saoudite.

Dans ce cadre, une analyse faite sur la télévision libanaise al-Manar (04/11), organe du Hezbollah pro-iranien, pense que les politiques de la France et de l’Arabie saoudite au Liban divergent actuellement, laissant craindre un éloignement plus grand encore entre Paris et Riyad sur ce dossier. Selon cette analyse, Riyad voit d’un mauvais oeil la reprise du dialogue entre Paris et le Hezbollah, et fait savoir son mécontentement suite à l’accueil d’un député du parti chiite libanais au Quai d’Orsay récemment (Ali Fayyad). Pour sa part, Paris, contrairement à Riyad, s’aligne sur le choix du Vatican et de l’Eglise catholique maronite pour souhaiter la tenue d’élection présidentielle (2014), alors que les Saoudiens entendent monnayer la question de la présidence en échange de la constitution d’un gouvernement débarrassé de l’influence iranienne (Hezbollah). Selon la même analyse, faite et diffusée alors que le Hezbollah engage un bras de fer politique avec le camp pro-saoudien au Liban, les Saoudiens n’apprécient guère la reprise de contact entre Paris et Téhéran, et s’interrogent sur la pertinence de la décision française de rouvrir le Poste d’Expansion Economique à Téhéran et d’encourager les milieux d’affaires à prospecter à nouveau le marché iranien (mission du MEDEF en novembre en Iran).

Après avoir jeté le doute sur la solidité des liens entre Paris et Riyad, en mettant en avant leurs divergences sur des sujets cruciaux (Iran, Syrie), al-Manar spécule sur les options, limitées, qui restent aux Français pour défendre leurs intérêts au Liban et ceux des minorités chrétiennes (pressions du Vatican) au Proche-Orient, des options qui avantagent le camp du Hezbollah à celui des pro-Saoudiens. Pour enfoncer le clou, la chaîne du Hezbollah fait deux révélations importantes :
– la première concerne une demande que les Saoudiens auraient faite, en août dernier, aux Français, pour obtenir des informations sur le déploiement des navires de guerre américains sur la zone, et éventuellement, des garanties sur la sécurisation des sites pétroliers saoudiens en cas d’attaques iraniennes et syriennes menées en représailles à une attaque contre Damas. Les Français n’auraient pas répondu à la requête saoudienne, sauf pour les orienter vers les Américains. Cela ne peut que jeter le discrédit sur la solidité de l’alliance franco-américaine et affecter la crédibilité de la France en tant que partenaire militaire;
– la deuxième concerne une décision qu’auraient prise les dirigeants saoudiens de réduire les contrats français sur le marché saoudien, après l’apparition de ces divergences avec Paris sur l’Iran et le Liban. Al-Manar va jusqu’à donner des exemples, en estimant qu’EDF aurait perdu le contrat des deux centrales nucléaires (au profit de la concurrence britannique), et en faisant référence, pour rendre plus crédibles les propos avancés, aux partenaires commerciaux traditionnels de sociétés françaises dans le royaume dont Baqer Benladen et Mazen al-Sawwaf du Groupe Benladen, Soroof International (www.soroof.com), propriété du prince Bandar Ben Abdullah Ben Abdulaziz et “sponsor” d’EDF. Cela ne peut que déstabiliser les intérêts économiques et commerciaux français en Arabie saoudite.

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