Yémen: Paris assume son engagement aux côtés d’Abou Dhabi


Publié dans le numéro 28 de la LettreM.

La France est engagée aux côtés de son allié aboudhabien au Yémen. Elle appuie les Forces émiraties engagées dans la bataille d’al-Hodeïda, à l’issue de laquelle les Emiratis espèrent contraindre les Houthis au dialogue. En parallèle, la France prépare la voie à son initiative diplomatique pour le Yémen, une initiative aux couleurs de l’humanitaire mais à très forte connotation politique. Coïncidence ou pas, l’offensive de l’axe saoudo-émirati contre le port stratégique d’al-Hodeïda sur la Mer Rouge coïncide avec une contre-offensive politique du camp iranien en Irak.

Macron ne peut assumer le risque de perdre Abou Dhabi

Le Président Emmanuel Macron s’est entretenu, le 12 juin, avec le Prince héritier d’Abou Dhabi et vice-commandant des Forces armées émiraties cheikh Mohammad Ben Zayed.

La France a choisi de répondre à la demande des Emirats Arabes Unis et de contribuer à la bataille d’al-Hodeïda et son port stratégique que contrôlent les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran. Alors que les Etats-Unis rejetaient une demande émiratie d’aide en matière de renseignements et de surveillance aérienne, la France se disait prête (une nouvelle fois), en effet, à contribuer au déminage de la zone en vue de permettre aux Forces émiraties de poursuivre leur progression, d’après un officiel émirati auquel fait référence Reuters (14 juin) sous couvert d’anonymat. L’Elysée, qui entretient le lien avec MBZ, assume une telle décision, même si elle place la France en porte-à-faux par rapport à son projet de conférence humanitaire sur le Yémen (27 juin). La France, dont les Forces spéciales sont engagées aux côtés des forces coalisées depuis plusieurs mois, assume donc ses relations stratégiques avec les EAU, même lorsque les Etats-Unis manifestent certaines réserves plus qu’improbables dans les faits. Elle répond présente lorsqu’elle est sollicitée pour une contribution directe à la bataille cruciale menée par son allié émirati pour reprendre Hodeïda.

La France doit redoubler d’efforts pour ne pas risquer de perdre un allié historique devenu influent, voire parfois même incontournable, sur de nombreux dossiers régionaux. MBZ est devenu un des principaux interlocuteurs de Washington sur la zone, et il s’ouvre de plus en plus sur Moscou d’où il vient d’inaugurer avec Vladimir Poutine une nouvelle ère dans les relations bilatérales, annoncée comme stratégique par les deux hommes. Macron sait qu’il ne peut s’offrir le luxe de le décevoir, d’autant que le futur Président des EAU mise toujours sur la France comme partenaire international à fort potentiel. Macron répond donc à l’appel de son allié, avec la conviction d’avoir évité à la France le risque de se retrouver marginalisée sur les dossiers prioritaires de l’axe émirato-saoudo-égyptien. Une prise de risques calculée, doit-on espérer.

Abou Dhabi encercle Hodeïda, Téhéran encercle Bagdad

Le 12 juin toujours, le Président Emmanuel Macron s’entretenait aussi avec le Président iranien Hassan Rouhani. L’entretien téléphonique Macron-MBZ portait principalement sur le Yémen, celui entre Macron et Rouhani sur l’accord nucléaire, ainsi que sur des questions régionales dont la Syrie. Aucun lien, a priori, entre les deux entretiens. Sauf, peut-être, l’Irak qui n’est pas évoqué dans les communiqués officiels. L’Irak n’a pas été abordé, directement, par Macron, MBZ et Rouhani, mais ce dossier plane au-dessus de Hodeïda.

Le coordinateur de l’opération à Hodeïda est MBZ, qui a le soutien du Prince héritier saoudien Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz, vice-Premier ministre et Ministre de la Défense également. Le Président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi, qui vient de remplacer Sobhi Sodqi à la Défense par Mohammad Ahmad Zaki, est lui aussi engagé dans ce que la coalition arabe estime être l’ultime bataille pour amener les rebelles pro-iraniens à la table des négociations comme l’affirmait l’Ambassadeur des EAU à Londres Sulaïman al-Mazroui dans son interview à The National (13 juin). Pour tous ces pays, l’Arabie saoudite, les EAU et l’Egypte, le Yémen est stratégique et le port d’al-Hodeïda l’est plus particulièrement pour sa position dominante sur la Mer Rouge. Pour l’Iran, cela ne l’est pas autant, même si la recherche d’une présence, même indirecte, à l’entrée de la Mer Rouge, motive cet engagement iranien aux côtés des rebelles dans ce gouvernorat yéménite.

Pour les Saoudiens, les Emiratis et les Egyptiens, les enjeux au Yémen sont bien plus importants que ceux des Iraniens. Les priorités stratégiques pour l’Iran sont ailleurs. Elles sont en Irak notamment. Ainsi, le lancement par l’axe saoudo-émirati de l’ultime attaque militaire contre al-Hodeïda coïncidait avec le lancement par l’Iran et son influent général Qassem Sulaïmani, chef de la Brigade d’al-Quds des Pasdarans, de son ultime offensive politique en Irak. Irak contre Yémen ? On est en droit de s’interroger si, dans le contexte géopolitique actuel, ces deux dossiers ne seraient pas liés. Le retournement de la situation politique en Irak en leur avantage, en poussant le chef religieux nationaliste Moqtada el-Sadr à s’associer à son rival pro-iranien Hadi al-Amiri, chef de l’Organisation Badr, une des principales composantes de la milice pro-iranienne du Hashed el-Shaabi, est clairement un revers pour les Saoudiens, les Emiratis et les Américains. Le retournement de la situation militaire au Yémen, qui ouvrirait la voie à des arrangements politiques à l’avantage de Riyad et d’Abou Dhabi, passerait par la reprise d’al-Hodeïda.

La France trouve un strapontin au Yémen

Au Yémen, où elle apporte, discrètement, son aide aux Saoudiens et aux Emiratis engagés dans une guerre générale depuis plus d’un an, et où elle contribue désormais à la bataille d’al-Hodeïda, la France choisit de consolider ses relations stratégiques avec trois de ses partenaires arabes : l’Arabie saoudite, les EAU et l’Egypte. Elle le fait maintenant, et alors que son action au Yémen peut être critiquée dans son ensemble, y compris pour les livraisons d’armes et de munitions et l’assistance opérationnelle fournie, avec l’espoir d’une victoire militaire rapide contre les Houthis, du lancement d’une action humanitaire d’envergure coordonnée par les parties associées à la conférence prévue à Paris le 27 juin, et de l’inauguration d’un nouveau processus politique en vue d’un règlement durable de la crise.

Au-delà du Yémen et de l’Irak, les Iraniens et leurs adversaires devraient s’affronter sur d’autres théâtres : en Syrie, où le gendarme russe tente d’imposer son tempo, au Liban, où les deux camps mobilisent leurs relais libanais en vue d’une cohabitation forcée qui ne sera pas de tout repos pour les uns et les autres, et sur le dossier israélo-palestinien où deux grands projets s’affronteront au cours des prochains mois et des prochaines années, « le deal du siècle » proposé par l’administration Trump avec le soutien de ses partenaires arabes, et le « no deal » défendu par l’Iran et ses alliés. La France assure une présence, minimale ou marginale parfois, sur ces dossiers, comme pour ne pas perdre la main, et en attendant des opportunités plus accessibles. Entretemps, elle s’occupe à rester présente au Yémen, un dossier qui compte pour ses alliés arabes de références.

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