Golfe: Concertations franco-émiraties sur l’Iran


Publié dans le numéro 52 de la LettreM.

Le 20 juin, l’Elysée annonçait le déplacement à Téhéran du conseiller diplomatique du Président Emmanuel Macron, Emmanuel Bonne, pour des rencontres « de haut niveau » avec les responsables iraniens. La mission de l’émissaire présidentiel français, qui succédait à Téhéran au Ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas, est de contribuer à « apaiser les tensions » dans le Golfe. A Téhéran, Bonne a surtout fait le point avec les responsables iraniens sur le devenir de l’accord nucléaire alors que les Iraniens faisaient savoir leur refus de prolonger le délai de 60 jours donné aux signataires européens de cet accord. Le 25 juin, le Président Macron s’entretenait au téléphone avec son homologue iranien Hassan Rouhani « pour éviter une escalade dangereuse » selon l’Elysée.
Pour la France, la désescalade est le leitmotiv de son action dans le Golfe actuellement. Abou Dhabi, partenaire de référence de Paris sur la zone, semble adhérer de plus en plus à cette action française.

Le 18 juin, la veille du déplacement de Bonne à Téhéran, le prince héritier d’Abou Dhabi et vice-commandant des Forces armées émiraties cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan s’entretenait au téléphone avec le Président Emmanuel Macron, alors que son frère et Ministre des Affaires étrangères cheikh Abdullah Ben Zayed Al Nahyan se trouvait quant à lui en France. Les 19 et 20 juin, le Ministre d’Etat aux Affaires étrangères Anwar Gargash prenait le relais de son chef à Paris. L’Iran et la stabilité régionale étaient au cœur de ces entretiens franco-émiratis.

En pleine tension, la France tente d’instaurer un forum de désescalade dans la région avec comme objectif concret et immédiat la garantie d’une libre circulation du trafic maritime dans le détroit d’Ormuz. Les propos du Président Donald Trump sur la prise en charge de la sécurité du trafic maritime dans ce détroit par les principaux bénéficiaires donnent une autre dimension à cette ambition française.

Malgré leur proximité, le prince héritier d’Abou Dhabi cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan et le prince héritier saoudien Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz ne sont pas en parfaite harmonie sur tous les aspects de la guerre au Yémen, avec la promotion chacun de projets politiques différents, comme ils ont des lectures différentes aussi sur des questions spécifiques liées au dossier de la Syrie et sur la sécurité de la Mer Rouge et de la Corne de l’Afrique. Sur l’Iran aussi, des divergences de vues commencent à apparaître entre les deux hommes avec l’alignement de MBS sur l’axe Netanyahu-Bolton et le rapprochement de MBZ de la vision française.

Pragmatique, MBZ a plusieurs bonnes raisons de se rapprocher de la France sur le dossier iranien :

  • Il doute de la volonté de Washington, et du Président Donald Trump lui-même, d’aller en guerre contre l’Iran, et redoute de subir lui-même et son pays les inévitables dommages collatéraux qui résulteraient d’altercations régulières entre les deux camps. Les commentaires de ce proche de MBZ illustrent parfaitement l’état d’esprit actuel des dirigeants aboudhabiens :

  • Il subit les pressions de ses partenaires à Dubaï et dans les autres émirats de la fédération qui voient leur modèle économique respectif s’effondrer dans l’hypothèse d’une guerre ou de fortes tensions militaires. Un pourrissement de la situation, et une banalisation des incidents militaires sur la zone, risquent de mettre une forte pression sur les liens entre Abou Dhabi et les six autres émirats.
  • Il craint pour ses réseaux à Washington et donc pour sa capacité à influencer le cours des évènements si l’administration Trump se mettait en mode guerre, d’autant qu’il doit gérer aux Etats-Unis une série d’affaires politiques, médiatiques et judiciaires, l’impliquant directement ou indirectement et qui risquent de ternir son image auprès de ses interlocuteurs. MBZ, l’homme numéro un de Washington sur la zone, n’est plus parti en visite aux Etats-Unis depuis juin 2017, alors que son rival l’Emir du Qatar cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani est attendu le 9 juillet à la Maison Blanche. MBZ et MBS embarrassent de plus en plus leurs relais à Washington, pour une série de raisons liées à des dossiers sensibles : Khashoggi pour MBS, le Yémen pour les deux, George Nader et une affaire d’espionnage pour MBZ, etc. Les EAU et l’Arabie saoudite, où s’est rendu le 24 juin le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo avec le but de monter une coalition anti-iranienne, restent les alliés arabes les plus solides de l’administration Trump, avec l’Egypte du Président Abdel-Fattah al-Sissi. Mais MBZ et MBS deviennent progressivement des sources d’embarras pour leurs interlocuteurs à Washington. Cela leur fait douter forcément de l’avenir de leur influence auprès des dirigeants américains, d’autant que Trump fait souffler le chaud et le froid concernant ses relations futures avec l’Iran.
  • MBZ apprécie la capacité manifestée par Emmanuel Macron à résister aux pressions du Président Donald Trump (avec lequel il discutera du dossier iranien en marge du G20 au Japon) et du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu (qu’il recevait le 5 juin à l’Elysée) sur l’Iran, comme il apprécie la capacité de la France à être force de proposition en pleine escalade dans le Golfe.
  • MBZ voit en la France, qui dispose de bases militaires aux EAU, un partenaire crédible pour contribuer à la sécurisation du trafic maritime sur la zone et dans le détroit d’Ormuz notamment, maintenant que le Président Trump menace de se désister de cette mission pour la laisser à d’autres…

Dans le contexte actuel, MBZ tend à adhérer aux vues françaises sur l’Iran, plutôt qu’à celles du camp Bolton-Netanyahu-MBS. Pour la France, cette adhésion aboudhabienne offre une légitimité arabe à sa politique iranienne. Une convergence de vue entre la France et les EAU émerge sur le dossier iranien, et qui pourrait fédérer d’autres acteurs, arabes ou européens, et surtout les déçus de la politique radicale encouragée par une partie de l’administration américaine et Israël et à laquelle a volontairement adhéré pour le moment l’Arabie saoudite. Pour MBZ, la France était là lorsqu’il l’attendait. Pour Macron aussi, la convergence de vues avec les EAU sur ce dossier sensible constitue une garantie de la solidité des liens entre Paris et Abou Dhabi. Cet épisode ouvrirait-il la voie à un nouveau rapprochement stratégique entre les deux alliés ?

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