En sept semaines, huit terroristes islamistes ont mené des attaques suicides au Liban contre les bastions du Hezbollah, les intérêts iraniens et l’Armée libanaise. Le phénomène est nouveau et il évolue. Ces attentats sont revendiqués par al-Qaëda, par les Brigades Abdullah Azzam, alors que les deux factions islamistes rivales sur la scène syrienne Jabhat al-Nusra (filiale d’al-Qaëda) et l’Etat Islamique en Irak et au Levant se joignent, au Liban, pour soutenir de tels actes. L’engagement militaire du Hezbollah en Syrie explique, en partie, cette banalisation des attentats au Liban. En partie seulement, car l’islam radical militant et violent trouve, de plus en plus naturellement, une assise au Liban, voire une légitimité à ses actes terroristes contre le Hezbollah et son chiisme militant tombé sous l’influence de vileyet el faqih, contre l’Iran et même contre l’Armée libanaise fer de lance traditionnel de la guerre contre le terrorisme d’al-Qaëda. Al-Qaëda transforme le Liban d’une terre d’accueil en terre de djihad, et intègre le territoire libanais dans l’ensemble levantin qu’elle dispute désormais à l’EIIL.
Les changements en cours à Riyad, au niveau de la classe dirigeante et des politiques extérieures, se traduisent, sur le terrain, par une réévaluation des liens entre les services saoudiens et les forces djihadistes engagées contre le régime de Bachar el-Assad. Si le renversement du régime, alaouite et baasiste, reste une priorité absolue pour Riyad qui y voit un objectif stratégique sous l’angle de sa guerre d’influence avec Téhéran, les outils dont usent les Saoudiens pour atteindre cet objectif changent. Riyad pense pouvoir accentuer la pression militaire contre Assad et le Hezbollah en engageant des forces légitimes aux yeux des Syriens tout d’abord, et des puissances internationales ensuite, et en repensant les tactiques militaires de ces forces. Les Saoudiens pensent pouvoir relancer leur coopération avec Washington sur ce dossier. Les garanties que Riyad offre désormais l’obligent à maintenir un contrôle strict sur les forces politiques et militaires engagées contre Bachar el-Assad, et à contenir les dérives déstabilisatrices de ces forces sur l’entourage de la Syrie. Les Saoudiens doivent penser aider ainsi les alliés occidentaux à défendre auprès de Moscou et de Téhéran le projet de changement de pouvoir à Damas.
Concrètement, et cela n’a pas attendu ce rivement saoudien, le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki s’est engagé, avec les encouragements de Washington, Moscou et Téhéran, dans une guerre sans merci contre al-Qaëda. La Turquie et la Jordanie accentuent la pression, chez elles, contre le djihad global, et le Liban, devenu une terre de djihad donc, s’engage à son tour, avec les encouragements de Washington et de Téhéran et de la communauté internationale contre al-Qaëda sur son sol. Le Liban vient de se doter d’un nouveau gouvernement dans le cadre de ce qui s’apparente à un arrangement saoudo-iranien souhaité et encouragé par Washington et Paris, dans lequel le Ministère de l’Intérieur est confié à un faucon du camp haririen pro-saoudien. Avec l’Armée, qui coopère étroitement avec Washington sur le dossier de la lutte anti-terroriste, le Ministère de l’Intérieur, tombé donc dans le camp sunnite pro-saoudien, réoriente, de facto, l’essentiel de son action vers la guerre contre le terrorisme d’al-Qaëda. A l’instar de l’Arabie saoudite où le Ministère de l’Intérieur du prince Mohammad Ben Nayef Ben Abdulaziz reprend le contrôle du dossier anti-terroriste avec les encouragements de Washington et après la mise à l’écart du turbulent chef des Renseignements le prince Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz, le Liban, réuni dans un gouvernement où les responsabilités sécuritaires sont partagées entre pro-saoudiens et pro-iraniens, est invité à s’enrôler dans la guerre américaine et internationale contre le terrorisme islamique, au Levant. L’engagement direct et profond du Hezbollah en Syrie l’empêche de prétendre à un rôle, légitime, dans cette action libano-internationale contre al-Qaëda, au Liban.
Le Hezbollah, et en attendant son repli de Syrie qu’on espère après la guerre de Yabroud, doit se contenter, pour le moment, de sanctuariser, autant que possible, ses bastions. Le succès de cette auto-protection des zones chiites est mitigé, puisque des attentats sont encore perpétrés dans la banlieue sud de Beyrouth et dans la Béqaa. Mais, en attendant, encore une fois, le retrait du Hezbollah de Syrie, ce schéma ne risque pas de changer. Le seul changement, de taille, reste l’engagement, direct, du camp sunnite pro-saoudien, via la gouvernement du Premier ministre Tammam Salam et via deux Ministères clés, celui de l’Intérieur et de la Justice, dans la guerre contre al-Qaëda. Suivant ce qui a été avancé au début, cela va dans l’intérêt de Riyad qui a besoin de rassurer Washington et la communauté internationale sur sa capacité de proposer des alternatives acceptables au régime syrien et de contenir la montée en puissance d’al-Qaëda au Levant. C’est aussi, et surtout peut-être, un succès irano-hezbollahi, puisque l’arrangement actuel sur le gouvernement Salam aura permis de responsabiliser le camp pro-saoudien au Liban, tout en l’exposant à la menace takfiriste… Tout cela n’est que provisoire, certes, mais, au Liban plus qu’ailleurs, le provisoire peut durer longtemps…